La formation professionnelle et technique en transformation
Depuis une vingtaine d’années, les pays de l’OCDE ont entrepris de réformer leurs systèmes de formation professionnelle et technique (FPT). Confrontés aux évolutions de la technologie, de l’économie et du travail, ils doivent s’ajuster pour former la main-d’œuvre qualifiée, leur principale finalité. Une des études les plus fouillées sur le sujet vient d’être produite par le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (CEDEFOP, 2017). Menée auprès d’experts provenant de 30 pays – ceux de l’Union européenne, de l’Islande et de la Norvège – elle résume bien les tendances d’évolution de la FPT depuis les vingt dernières années (Hart et B. Simoneau, 2018). Les voici :
- les fournisseurs de formation et les clientèles de la FPT se sont diversifiés;
- la FPT est devenue plus fluide, les passerelles ayant augmentées entre les programmes d’études et entre les ordres d’enseignement;
- elle est aussi devenue moins scolaire en intégrant des pratiques; d’apprentissage que l’on retrouve en milieu de travail, dont les stages (work-based learning elements);
- enfin, les frontières se sont estompées entre l’offre de formation initiale et continue.
Pour résumer, la FPT devient plus diversifiée, plus fluide, moins scolaire pour accompagner les personnes qui ont désormais à se former tout au long de leur vie professionnelle.
De ce côté-ci de l’atlantique, les Américains ont aussi réformé leur système de FPT. Instituée par le gouvernement fédéral en 2006 (Hart, 2013a), c’est un projet d’envergure touchant les finalités de la FPT et l’ensemble de son architecture.
Sur le plan des finalités, il y a la volonté d’ouvrir cette formation à la poursuite d’études post-secondaires tout en donnant à ceux et celles qui s’engagent sur le marché du travail, tout ce qu’il faut pour l’intégrer. Pour comprendre ce dont il s’agit, c’est comme si dans notre système, il n’était plus possible de compléter une formation professionnelle sans acquérir les prérequis académiques qui permettent de poursuivre des études au collégial.
Sur le plan de l’architecture, la nouvelle FPT s’accompagne d’un cadre de référence national intitulé Common career technical core. Ce cadre repose sur une taxonomie de 16 domaines d’activités (les career clusters) qui se déclinent en 79 filières professionnelles (lescareer patways) qui chacune regroupent des programmes d’études. Ceux-ci forment sur les compétences spécifiques d’un métier, mais désormais aussi, sur le tronc commun de compétences de la filière. De cette façon, les programmes d’études deviennent moins pointus permettant les changements d’orientation et la progression des études.
Suivre les transformations de la FPT
Confronté aux transformations de la FPT, le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (CEDEFOP) a conçu un outil pour suivre les évolutions (Hart, 2013b). Destiné aux décideurs et aux chercheurs, l’objectif est double : soutenir le débat politique sur les transformations et stimuler les analyses qui rendent compte des évolutions.
L’outil du CEDEFOP emprunte les caractéristiques d’un tableau de bord de gestion comprenant 31 indicateurs permettant d’évaluer :
- l’accessibilité, l’attractivité et la flexibilité des systèmes de FPT;
- les efforts de développement de la FPT de la part des gouvernements et des employeurs et la contribution de la FPT aux besoins du marché du travail;
- le niveau de scolarité de la population et sa situation quant à la formation et sur le marché du travail.
Les transformations de la FPT au Québec
Au Québec, nous assistons aussi à des transformations de la FPT. Depuis quelques années, elles se font à l’aune de l’adéquation formation-emploi. Les enjeux de la FPT québécoise sont connus et certains font l’objet de mesures depuis de nombreuses années. En voici quelques-uns (Hart, 2016).
L’ingénierie de création et de révision des programmes d’études. Le dispositif actuel, confié à la Commission nationale des programmes d’études professionnelles et techniques (CNPEPT), a été mis sur pied en 1994. Les révisions de programmes se font sur une dizaine d’années, voire davantage. Pour donner un exemple, le programme techniques d’usinage approuvé en 1999 vient d’être révisé en 2017, et cela, suite à deux ans de consultation (CNPEPT, 2017). Cette situation est soulignée par bon nombre d’acteurs terrain qui souhaitent « un processus de révision plus souple, plus rapide et en continu » (FCSQ, 2018 : 7). Plusieurs d’entre eux adoptent des pratiques d’ajustement informel afin de mettre à jour certains éléments des programmes (Hart, 2017).
La fluidité de la FPT. Actuellement, il y a peu de mouvements entre les programmes d’études de la FPT. En 2012, le taux de passage immédiat de la formation technique collégiale à l’université était de 31,2 % (Demers, 2014 : 65). Quant au passage entre un DEP et un DEC, il est plutôt rare. Malgré les efforts pour développer des passerelles entre la formation professionnelle et technique, à peine une trentaine d’étudiants par automne sont admis par les collèges dans de tels parcours de continuité de formation, et ce, sur une période d’observation s’étendant de 2004 à 2012 (Demers, 2014 : 60).
La multiplication des programmes de courte durée. La multiplication des programmes d’études de courte durée depuis les années 90, notamment les attestations d’études au collégial (AEC) et les attestations d’études professionnelles (AEP) au secondaire, a entraîné une certaine confusion dans le paysage des certifications de la FPT. En 2014, on répertoriait 1 128 programmes d’AEC (Demers, 2014 : 89) contre quelque 115 programmes de DEC technique. Ces programmes de courte durée conduisent à des certifications dont il est difficile d’estimer la valeur. Par ailleurs, il s’agit là d’un problème international. L’outil pour le régler existe et il est adopté par presque tous les pays (142 pays sur 197) : les cadres nationaux de qualification. L’Ontario vient par ailleurs de s’en donner un. Intitulé « Cadre de classification des titres de compétence de l’Ontario (CCTO) », il recense tous les programmes postsecondaires ontariens menant à un diplôme, un certificat, ou un grade. Il clarifie également les requis d’apprentissages de chaque titre. Il s’agit là d’un bel exemple dont pourrait s’inspirer le Québec pour faire un premier pas vers un cadre national de certification (Solar-Pelletier, 2015).
La fréquentation de la formation professionnelle. La formation professionnelle au Québec est fréquentée par des adultes alors que son positionnement dans le deuxième cycle du secondaire – à l’instar de bon nombre de pays européens – laisse entendre qu’elle est destinée à des jeunes en continuité de formation. En 1976-77, 113 228 jeunes fréquentaient la formation professionnelle. En 2010, il n’y en avait plus que 28 363, dont seulement 7 842 en continuité de formation, soit moins de 7 % de la clientèle de la FP. S’il y a plusieurs causes au phénomène, l’une d’entre elles n’est pas étrangère au format et au contenu même de programmes d’études qui mènent à des métiers pointus que peuvent difficilement choisir des adolescents de 15, 16 ans. En Ontario et dans les autres provinces, tous les programmes d’études de la FPT sont offerts au collégial et on y entre en ayant terminé au moins 12 années de scolarité (Hart, 2015a).
Références
Cedefop (2017a). The changing nature and role of vocational education and training in Europe. Volume 1: conceptions of vocational education and training: an analytical framework.Luxembourg : Publications Office of the European Union. Cedefop research paper; No 63.
Cedefop (2017b). The changing nature and role of vocational education and training in Europe. Volume 2: Results of a survey among European VET experts.Luxembourg: Publications Office of the European Union. Cedefop research paper; No 64.
CNPEPT (2017). Fiche de présentation d’un projet de programme d’études révisé, usinage. Québec : Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
Demers, Guy. (2014). Rapport final du chantier sur l’offre de formation collégiale. Québec: Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science.
Fédération des commissions scolaires du Québec (2018). Bâtir ensemble la formation professionnelle du 21e siècle : parce que le Québec a besoin de tous ces talents! Mémoire sur la formation professionnelle 2018 présenté au Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Québec : l’auteur.
Goyer, R. (2017). Promouvoir la formation professionnelle autrement.Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 8(1).
Hart, S.A. et Simoneau, F.B. (2018). Évolution de l’enseignement et de la formation professionnels en Europe. Bulletin de l’Observatoire compétences-emploi, 8(3).
Hart, S.A. (2017). Des commissions industrielles pour maintenir les programmes de la formation professionnelle et technique à jour. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 7(3).
Hart, S.A. (2016). Le projet de loi 70 et l’adéquation formation-emploi, un coup d’épée dans l’eau ? Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 6(4).
Hart, S.A. (2015a). La formation professionnelle et technique ontarienne. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 6(1).
Hart, S.A. (2015b). Un outil d’investigation montrant les liens entre la formation et l’emploi Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 6(2).
Hart, S.A. (2013a). Ça bouge du côté de la formation professionnelle et technique aux États-Unis! Coup d’œil sur la réforme de la FPT américaine. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 4(3).
Hart, S.A. (2013b). Un tableau de bord pour la formation professionnelle et technique : les Européens suivent leurs systèmes nationaux de FTP. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 4(3).
Solar-Pelletier, L. (2015). Un cadre de certifications pour clarifier la formation postsecondaire en Ontario. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 6(1).

Extrait
Dans cet article, nous expliquons la transformation de systèmes de formation professionnelle et technique (FPT), au Québec et à l’international, depuis les vingt dernières d’années.