Juin 2018 | Vol. 9 | N°1

Technologies numériques et formation en alternance

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« Cet article est réalisé dans le cadre du Projet M, un projet d’innovation permettant à des travailleurs en emploi d’obtenir un diplôme en formation professionnelle et technique. Ce projet est réalisé avec l’aide financière de la Commission des partenaires du marché du travail. »

Depuis plusieurs années, les technologies numériques font partie de nos vies personnelle et professionnelle. Nous échangeons, partageons, collaborons et apprenons au travers d’outils toujours plus puissants et performants.

Les technologies numériques sont aussi présentes comme supports à l’apprentissage dans la formation en alternance. Qu’il s’agisse d’un téléphone intelligent ou d’une plate-forme en ligne, l’utilisation dans ce contexte va bien au delà d’une simple transmission d’information.

De manière globale, ces technologies favorisent l’adéquation entre la formation et l’emploi en établissant un pont entre le monde du travail et l’école (Schwendimann et al., 2005). Les éléments multimédias viennent enrichir considérablement le matériel pédagogique en faisant entrer le quotidien professionnel dans la salle de classe (Cattaneo, 2015). Voyons comment et quelques exemples d’application.

Le modus operandi

Les technologies numériques soutiennent les apprentissages dans la formation en alternance en permettant de modifier une situation de travail significative pour qu’elle devienne une activité d’apprentissage à part entière (Cattaneo, Barabash, 2017). Le partage et la collaboration sont au cœur de cette dynamique.

La dynamique s’enrichit au fur et à mesure des expériences vécues par les étudiants en milieu de travail et à l’école. Via une plate-forme commune, tous les acteurs (étudiant, enseignant, formateur en entreprise) sont connectés et échangent à différents moments (ex.: lors du traitement ou de l’évaluation), de différentes façons (ex: forum ou via une conférence audio). Il n’y a pas de linéarité dans les opérations : des allers-retours et plusieurs combinaisons sont possibles. Le schéma suivant illustre le modus operandi de cette dynamique.

Les utilisations des technologies numériques en support à l’apprentissage

  1. La captation permet de collecter les données brutes de la situation de travail sous la forme d’images, de sons, de photos ou de vidéos. L’étudiant, l’enseignant, le formateur en entreprise captent ces données avec une caméra (frontale ou autres), un téléphone intelligent, une tablette ou un appareil photo.
  2. Ces données brutes (images, sons, photos, vidéos) sont, par la suite, déposées sur une plate-forme en ligne par les personnes qui les ont collectées.
  3. Le stockage permet ainsi de garder et de classer les données brutes en vue de leur transformation.
  4. Lors du traitement, l’étudiant ou l’enseignant ou les deux en collaboration sélectionne(nt), analyse(nt) et adapte(nt) les données brutes (images, sons, photos, vidéos) pour les relier aux objectifs d’apprentissage. Le traitement se fait sur une plate-forme en ligne à partir de logiciels spécialisés. Ils créent ainsi du matériel pédagogique et des activités de formation.
  5. La diffusion de l’activité d’apprentissage peut se faire en présentiel ou à distance (ex. : cours en salle, classe virtuelle, cours en ligne). Le support à l’apprentissage permet un accompagnement personnalisé de l’étudiant par l’enseignant tout au long de son parcours. Ainsi, un étudiant peut solliciter son enseignant lors de son stage en entreprise sur une situation qu’il vit et lui partager une vidéo ou des photos sur la plate-forme commune. Le formateur en milieu de travail et l’enseignant peuvent collaborer ensemble pour suivre les apprentissages de l’étudiant.
  6. La consignation permet de centraliser le matériel pédagogique et les résultats des apprentissages des étudiants sur différents supports numériques choisis en fonction des besoins et du contexte (ex. : carnet de liaison, portfolio).
  7. L’évaluation se fait par l’enseignant à deux niveaux : en continu afin d’apprécier la progression des apprentissages et de faire des ajustements au besoin et en fin de parcours pour mesurer les acquis et éventuellement certifier. L’étudiant peut également s’autoévaluer pendant son parcours.

Pour illustrer la façon dont les technologies numériques peuvent soutenir les apprentissages, voici deux projets d’envergure nationale.

Un projet Suisse

Le projet DUAL-T  vise à intégrer les technologies numériques dans la formation duale pour soutenir et faciliter le retour réflexif sur les apprentissages réalisés en milieu de travail. Voici des expérimentations dans trois domaines de formation.

Le cas des apprentis cuisiniers

Les apprentis cuisiniers utilisent des téléphones intelligents ou des caméras pour filmer ou prendre des photos de la réalisation de recettes dans le cadre de leur formation. Ils déposent ensuite leurs vidéos et photos sur une plate-forme dédiée à cet effet. Un journal en ligne permet au formateur en entreprise et à l’apprenti de commenter le processus de réalisation. Que le processus suivi soit juste ou pas, l’enseignant reprend les vidéos des apprentis pour en faire une seule vidéo qui sera utilisée comme matériel pédagogique en classe.

Image tirée du site Ivideo.education

Le cas des apprentis assistants dentaires

La prise de radiographies est une activité peu pratiquée chez les apprentis assistants dentaires lors de leur formation en entreprise. Cette situation les amène à rencontrer des difficultés dans l’identification (1) d’une radiographie de mauvaise qualité et (2) de la source du problème. Pour pallier à cette lacune, une plate-forme en ligne wiki a été créée. La plate-forme permet aux apprentis et à l’enseignant de déposer des radiographies défectueuses et de les commenter. Elles sont ensuite discutées en classe.

Le cas des apprentis mécaniciens automobiles

Des caméras frontales sont utilisées par les apprentis mécaniciens automobiles pour filmer l’exécution d’une procédure de travail. À l’origine, certaines procédures étaient mal ou pas exécutées dans les garages. Une fois les vidéos déposées sur la plate-forme en ligne REALTO, l’enseignant sélectionne des séquences de travail et les commente. Les vidéos traitées sont intégrées dans des exercices en classe afin de permettre aux apprentis de mieux identifier les erreurs d’exécution.

Un projet allemand

Le projet Social virtual Learning (SVL2020) concerne la formation duale de l’industrie de l’imprimerie et des médias en Allemagne. Il repose sur la mobilisation des technologies de la réalité augmentée (AR) et virtuelle (VR) afin d’offrir à tous les acteurs de la formation de nouvelles méthodes d’apprentissage et d’enseignement.

La réalité augmentée consiste à enrichir le monde réel de contenus digitaux générés par un programme informatique. Lors de séquences de formation en imprimerie, l’apprenant utilise une tablette numérique pour accéder à cette réalité. Alors qu’il filme une imprimante sous presse en train de fonctionner, le programme lui permet de voir, en temps réel, l’intérieur de la machine, un peu à manière d’un rayon x. En suivant des séquences de formation d’une trentaine de minutes, l’apprenant comprend progressivement le fonctionnement complexe et hautement automatisé de la machine, sans devoir l’arrêter et la démonter.

Image tirée du site Social virtual learning

Pour entraîner le geste professionnel de montage et de démontage d’une imprimante offset, des modules complémentaires de formation en réalité virtuelle ont été développés. Pour accéder à la salle de formation virtuelle, l’apprenant s’équipe d’un casque et de deux manettes ergonomiques. Dans la salle virtuelle, ces manettes représenteront les mains de l’apprenant et lui serviront à déplacer des objets. Durant le module de formation, il s’entraîne à placer correctement les cylindres du système d’impression modélisé en trois  dimensions.

Image tiré du site Social virtual learning

Des éléments textuels apparaissant à différentes étapes du modules viendront compléter l’expérience de formation. Combinés à des cahiers d’apprentissage, les modules de formation AR et VR visent à encourager l’autonomie de l’étudiant en multipliant les lieux et les occasions d’apprendre (l’école, l’entreprise, la maison, la réalité augmentée et la réalité virtuelle).

Image tiré du site Social virtual learning

Enfin, la promotion de la formation est une des composantes importantes du projet SVL2020. Elle se concrétise par la possibilité de tester une version de démonstration de l’environnement virtuel de formation, par la gratuité du matériel de formation 1), et par l’organisation d’un roadshow de présentation des modules (2017-2018) à travers plusieurs grandes villes d’Allemagne.

Pour conclure

L’utilisation des technologies numériques implique des changements pour les acteurs. L’étudiant devient plus autonome ; il est au coeur de ses apprentissages. Quant à l’enseignant, il devient un facilitateur ; il accompagne l’étudiant dans son processus d’apprentissage. Il doit aussi se familiariser avec ces technologies. Il en est de même pour le formateur en entreprise.

Le partage de l’information est au centre de la dynamique d’apprentissage. Filmer un processus de fabrication d’une pièce mécanique et en faire une activité d’apprentissage pour réduire les erreurs pourrait comporter un enjeu en ce qui a trait à la confidentialité des données pour certaines entreprises.

Et on ne peut pas parler de ces technologies sans aborder la question des coûts. Un certain nombre d’outils sont gratuits (outils de partage et de collaboration), d’autres pourraient générer des coûts importants, voire substantiels (outils de réalité augmentée). Par ailleurs, le temps associé au développement d’outils est aussi à considérer.

En dépit de ces contraintes, le foisonnement des outils technologiques et les possibilités d’utilisation qui en découlent laissent place à l’expérimentation d’avenues nouvelles en formation professionnelle.

Notes

  1. À condition de disposer du matériel adéquat (casque ou lunette VR, manettes) il est possible de tester une version de démonstration de l’environnement virtuel sur ce lien.

Références

Cattaneo, A., Barabash. A. (2017) Technologies in VET: Bridging learning between school and workplace – the “Erfahrraum Model”. Berufs-und Wirtschaftspadagogik, 33,1-17.

Cattaneo, A. et Aprea, C. (2018). Visual Technologies to Bridge the Gap Between School and Workplace in Vocational Education. Dans Ifenthaler, D. (dir.), Digital Workplace Learning: Bridging Formal and Informal Learning with Digital Technologies (p. 251‑270). Cham : Springer International Publishing.

Cattaneo, A. et Aprea, C. (2014). Using technologies to integrate vocational learning in multiple contextsDans V. C. X. Wang (Dir.), Handbook of Research on Education and Technology in a Changing Society (p. 675-690). Hershey, PA: IGI-Global.

Fehling, C(2017). « Neue Lehr- und Lernformen in der Ausbildung 4.0 — Social Augmented Learning in der Druckindustrie » In: BIBB (Hg.): « Berufsbildung in Wissenschaft und Praxis (BWP) 2/2017 », W. Bertelsmann Verlag, Bielefeld, 2017.

Le Bellu S., Le Blanc B., Di benedetto S. (2016) De la R&D à l’industrialisation d’un dispositif de gestion organisationnel des savoirs d’experts : le cas d’une grande entreprise française. Management Prospective Ed. | « Management & Avenir ». 2016/2 N° 84 | pages 95 à 113. ISSN 1768-5958.

Motta, E., Cattaneo, A., & Gurtner, J.-L. (2014). Mobile devices to bridge the gap in VET: ease of use and usefulness as indicators for their acceptance. Journal of Education and Training Studies2, 165-179.

Schwendimann, B. A., Cattaneo, A. A., Dehler Zufferey, J., Gurtner, J. L., Bétrancourt, M., & Dillenbourg, P. (2015). The ‘Erfahrraum’: A pedagogical model for designing educational technologies in dual vocational systems. Journal of Vocational Education & Training67(3), 367-396.

En savoir plus

Sur le projet suisse : Projet Dual – T en Suisse et REALTO-La plate-forme pour la formation professionnelle connectée

Sur le projet allemand : Social virtual learning

Extrait

Les technologies numériques favorisent l’adéquation entre la formation et l’emploi en établissant un pont entre le monde du travail et l’école. Dans la formation en alternance, les éléments multimédias viennent enrichir considérablement le matériel et les activités pédagogiques en faisant entrer le quotidien professionnel dans la salle de classe. Dans cet article, nous voyons comment et donnons des exemples d’application.

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