Les comptes individuels d’apprentissage (CAI)
Les comptes d’apprentissage individuels (CAI), individuals learning accounts (ILA) ou personals learning accounts (PLA) en anglais, reconnaissent que la motivation pour la formation repose aussi sur les initiatives personnelles et que les individus peuvent, de ce fait, assumer une partie de leur développement de compétences; une idée qui prend tout son sens dans le contexte actuel de l’apprentissage tout au long de la vie. Les CAI sont en outre un moyen de complémenter les mesures de soutien à la formation organisées ou parrainées par les entreprises, équilibrant ainsi les mécanismes d’autorégulation de l’offre et de la demande de formation sur le marché du travail.
Certains pays ont des mesures de ce type depuis longtemps, tel est le cas de la France avec le Congé individuel de formation (CIF) et le Droit individuel à la formation (DIF). D’autres pays les envisagent depuis peu et ils ont, à cet effet, mené toute une série de projets pilotes. Grâce à une étude récente du CEDEFOP, nous sommes aujourd’hui en mesure de mieux comprendre les objectifs qu’il est réaliste de viser avec ces mesures.
Qu’est-ce que c’est?
Les CAI sont des comptes d’apprentissage individuels assortis de mesures incitatives en provenance des gouvernements. Pour l’essentiel, ils donnent un pouvoir d’achat de formation aux individus qui peuvent ainsi gérer le développement de leurs compétences selon leurs intérêts.
Plus d’une dizaine de pays européens et nord-américains ont réalisé des expériences en lien avec les CAI. Les projets pilotes diffèrent selon l’importance et les modalités du financement accordés par les pouvoirs publics et selon les clientèles qui s’en prévalent ou qui y ont accès. Malgré la diversité des programmes, on peut classer ces expériences en deux grands types : les plans d’épargne formation (savings schemes) et les autres mesures (vouchers schemes) que sont bons d’achats ou chèques formation, subventions, bourses, etc.
Les plans d’épargne formation
Le premier type associe l’épargne à des incitatifs financiers. Le principe est le suivant, les individus épargnent pour suivre de la formation et les gouvernements, en retour, leur offrent des incitatifs fiscaux sur le montant investi et/ou leur versent un montant complémentaire pour bonifier leurs épargnes. Les employeurs, tout comme les gouvernements, peuvent contribuer aux plans d’épargne formation de leurs employés. Ainsi, aux États-Unis le Council for Adult and Experiential Learning (CAEL) a mis sur pied les lifelong learning account (LiLAs) qui incitent les employeurs à contribuer aux comptes de leurs employés à hauteur d’un montant équivalent à celui versé par les employés.
Les plans d’épargne formation sont généralement légers à opérer car on n’a pas besoin d’un organisme qui gère les paiements ou qui contrôle l’utilisation des fonds. Par contre, les impacts sont diffus et complexes à mesurer.
L’expérience canadienne
$avoir en banque est un projet pilote CAI de type plan d’épargne. Il a été conçu par le gouvernement pour explorer le soutien à la formation de canadiens à faible revenu ou les aider à démarrer une PME. Le projet s’est déroulé de 2000 à 2009.
Le programme fonctionnait de la manière suivante. Les participants ouvraient un compte auprès d’institutions financières partenaires et pour chaque dollar économisé, le gouvernement s’engageait à verser un crédit virtuel de 3 dollars. Le maximum de la contribution gouvernementale était de 4500$. Par exemple, un participant qui versait 1000$ dans son compte d’épargne, voyait bonifier son épargne jusqu’à 4000$. Ces fonds pouvaient être encaissés pour financer des études post-secondaires, pour du soutien logistique connexe à l’apprentissage, ou encore pour démarrer une petite entreprise. En outre, une formation de 15 heures sur la gestion financière faisait partie du programme.
Le rapport final produit en 20101) pose le problème de l’accès des personnes à faible revenu au programme puisque des efforts importants ont dus être déployés pour recruter des participants. Notons également que le programme a rencontré certaines critiques au sein même du gouvernement. Tandis que le ministère des Finances faisait valoir que des mesures similaires existaient déjà (REER et REEE), Développement des ressources humaines Canada (DRHC) avaient des inquiétudes sur l’accès des populations les plus démunies en raison du temps (trop long) avant de pouvoir transformer leurs épargnes en formation ou en projet d’entreprise.
Les bons d’achat ou chèques formation
Le second type de CAI se distingue du premier en ce qu’il ne repose pas sur l’épargne. Il peut s’agir de bons d’achat ou de chèques formation que l’on achète, de subventions ou de bourses2) que l’on reçoit. Ces mesures reposent sur une contribution des gouvernements, des individus, parfois des employeurs. Les CAI de ce type sont plus compliqués à mettre en œuvre, mais les impacts sont plus faciles à évaluer.
Deux expériences sont particulièrement intéressantes dans ce second type de CAI, les chèques formation de la Belgique et les cartes de crédit formation de l’Italie.
En Belgique
La Belgique est reconnue pour sa mesure universelle des chèques formation. Les individus ou les employeurs achètent ces chèques qui valent le double dans les établissements de formation participants. C’est une manière efficiente pour l’État de contribuer au développement des compétences tout en donnant le maximum de choix aux individus. Comme dans cet article nous avons choisi de présenter la mesure italienne, les lecteurs intéressés par la mesure des chèques formation peuvent consulter ce portail du gouvernement belge.
L’expérience italienne
Ce projet pilote appartient au second type de CAI et brille par son caractère novateur. Cinq provinces italiennes ont activé des cartes de crédit (individual learning credit card) pour favoriser l’augmentation de la participation des travailleurs à la formation et leur permettre de faire leurs propres choix. Les cartes sont prépayées et permettent aux détenteurs de se faire rembourser une partie ou la totalité des dépenses liées à la formation. Les personnes éligibles sont généralement sans emploi ou encore, ils ont des emplois atypiques. Un emploi atypique peut être un emploi à temps partiel non souhaité, mais cette catégorie inclue aussi tous les travailleurs autonomes qui ne sont pas associés à une entreprise ou une organisation.
Les services d’orientation de chaque province sélectionnent les participants et s’assurent que les projets de formation soient optimaux. Selon les besoins, ils peuvent accompagner les détenteurs de carte jusqu’à la fin de leur projet, contribuant ainsi à lever les obstacles qui peuvent survenir en cours de route. Les cartes sont émises avec une limite de 2500€ qui peuvent être dépensés dans des activités formelles, non-formelles ou informelles (conférences, formation en ligne, bénévolat, etc.) ou dans tout autre frais de formation.
Les participants dépensent leur crédit par tranches de 500€ qui doivent être approuvés par les conseillers au fur et à mesure du déroulement du programme. C’est de cette façon que l’on s’assure de la qualité des activités informelles ou non formelles. Dans ce programme, l’accent est mis sur les résultats du projet plus que sur le type d’activités, ce qui est tout à l’honneur des italiens, ceci étant peu fréquent dans le cas d’une mesure gouvernementale.
Bien que le projet pilote ne soit pas terminé, les résultats préliminaires montrent que 87% des participants ont vu leurs attentes envers la formation comblées; 67% disent avoir amélioré leur conditions de travail ; et 58% sont motivés à se trouver un meilleur emploi. Ce sont là des résultats encourageants si on considère que le coût moyen par participant est de 1336€.
Les CAI pour qui?
Les projets pilotes nous enseignent que les CAI de type plans d’épargne favorisent les individus plutôt scolarisés et qualifiés, suffisamment à l’aise financièrement pour épargner. Toutefois, il est difficile d’évaluer si ces individus n’auraient pas de toutes façons participé à la formation sans cet incitatif. On ne peut également assumer que les CAI soient issus d’une augmentation nette de l’épargne. Par exemple, un CAI prélevé à même des épargnes retraites au sein d’un REER, par exemple, ne constitue pas nécessairement une amélioration de la condition socio-économique des individus.
En revanche, le second type de CAI est plus efficace que le premier pour inciter des personnes moins qualifiées et moins nanties à suivre de la formation. D’abord parce qu’ils n’obligent pas à épargner, ni à débourser des montants importants, mais aussi parce qu’il y a un meilleur encadrement, tel un dispositif de recrutement des participants et des services d’orientation et d’accompagnement.
Les CAI pourquoi?
Les principaux objectifs poursuivis par les pays qui explorent les CAI sont les suivants :
- Favoriser la liberté de choix des individus;
- Accroître la responsabilité des individus à l’égard de leur développement professionnel et personnel;
- Accroître la motivation et la participation à la formation des individus;
- Inciter le marché de la formation à mieux s’adapter aux besoins des individus;
- Favoriser le partage des coûts de la formation entre les parties concernées, etc.
Nous présentons ici deux enjeux qui permettent de mieux saisir l’intérêt de ce type de dispositif.
Favoriser l’adaptation du marché de la formation
Les CAI se situent dans un courant récent qui prend ses distances par rapport au financement des fournisseurs de formation (approche basée sur l’offre) pour le diriger davantage vers les individus qui décident eux-mêmes des formations à suivre (approche basée sur les besoins). Ce choix peut se faire en accord avec un employeur contributeur qui participe ainsi à arrimer les besoins des individus et ceux des entreprises. Dans ce contexte, un des buts est d’inciter le marché de la formation à diversifier l’offre et à en augmenter la flexibilité en réponse à la demande des individus.
Donner accès aux ressources d’accompagnement des individus
Les CAI peuvent donc permettre aux individus d’augmenter leurs compétences en lien avec l’accroissement de la demande du marché du travail à condition que les choix faits par les individus soient informés. Or l’information sur l’offre de formation n’est pas toujours aisément accessible aux individus lorsque le pays n’a pas de portail unique et indépendant sur les possibilités de développement pour les travailleurs en emploi. Enfin, les mesures d’orientation et d’accompagnement semblent un facteur de succès des projets pilotes, pour un partie importante des participants.
Conclusion
L’analyse des projets pilotes de l’étude du CEDEFOP nous porte à croire que les CAI de type épargne peuvent devenir un outil intéressant pour certains types de travailleurs, déjà motivés et le plus souvent qualifiés, qui peuvent se permettre des économies. Les travailleurs moins qualifiés requièrent des mesures conçues spécifiquement pour surmonter leurs obstacles. Les CAI qui ne font pas appel à l’épargne sont plus adaptés à ce type de participants. Sur la base de l’accessibilité, un système de CAI efficace devrait faire appel aux deux types de mesure en précisant les objectifs associés à chacune.
Notes
- Société de recherche sociale appliquée. Apprendre à épargner et épargner pour apprendre. $avoir en banque. Rapport final, 2010. Projet parrainé par DRHC. Disponible sur le site de la Société de recherche sociale appliquée.
- À ne pas confondre avec les services de prêts-bourses offerts aux étudiants. Ces programmes ne sont pas accessibles aux étudiants à temps partiel et comportent généralement une limite d’âge pour y avoir accès.
En savoir plus
Téléchargez cette étude du CEDEFOP, intitulée Panorama : Individual learning account, publiée en 2009.

Extrait
Les comptes d’apprentissage individuels (CAI), individuals learning accounts (ILA) ou personals learning accounts (PLA) en anglais, reconnaissent que la motivation pour la formation repose aussi sur les initiatives personnelles et que les individus peuvent, de ce fait, assumer une partie de leur développement de compétences. Les CAI sont en outre un moyen de complémenter les mesures de soutien à la formation organisées ou parrainées par les entreprises, équilibrant ainsi les mécanismes d’autorégulation de l’offre et de la demande de formation sur le marché du travail.
Certains pays ont des mesures de ce type depuis longtemps, tel est le cas de la France avec le Congé individuel de formation (CIF) et le Droit individuel à la formation (DIF). D’autres pays les envisagent depuis peu et ils ont, à cet effet, mené toute une série de projets pilotes. Grâce à une étude récente du CEDEFOP, nous sommes aujourd’hui en mesure de mieux comprendre les objectifs qu’il est réaliste de viser avec ces mesures.