Enjeux de formation de main-d’œuvre dans le secteur manufacturier : le cas de l’imprimerie
Le secteur manufacturier au Québec a connu un déclin important au cours de la décennie 2000, à l’instar de biens d’autres pays industrialisés1). Aujourd’hui, il connaît un regain d’activités mais peine à prendre le train de la croissance et de l’innovation en raison d’un manque de main-d’œuvre spécialisée.
Louis J. Duhamel, spécialiste du secteur manufacturier et conseiller stratégique chez Deloitte, atteste : « L’industrie québécoise reprend du poil de la bête, le secteur manufacturier affiche une croissance de 2% par année, mais il y a des freins à la croissance, à commencer par la pénurie de main-d’œuvre » 2). Investissement Québec 3), les Manufacturiers et exportateurs du Québec 4), la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante 5), pour ne nommer que ceux-là, font le même constat. Cette rareté de main d’œuvre a des impacts immédiats sur le développement du secteur manufacturier, mais aussi à plus long terme alors qu’il doit négocier le virage 4.0.
Nous avons rencontré Dimitri Lesage et Stéphane Labrie du Comité sectoriel des communications graphiques (CSMOCGQ) 6) pour connaître les enjeux de l’une des industries les plus affectées par ce phénomène, l’imprimerie. Nous allons voir avec eux l’ampleur d’une problématique pour laquelle il n’y a pas de solutions simples.
Écart démesuré entre les besoins de main-d’œuvre et le bassin de diplômés
Le dernier diagnostic sectoriel du Comité7) fait état d’une industrie qui reprend confiance. Sur la base des prévisions des employeurs et des travailleurs sondés, il constate que les trois prochaines années s’annoncent prometteuses au chapitre de l’embauche, de la valeur ajoutée, du chiffre d’affaires ou de la rentabilité. Cette situation se reflète sur les besoins de main-d’œuvre, l’industrie prévoyant embaucher 1 500 employés par année sur la période 2018-2021.
Or s’il ne manque pas de graphistes et d’infographistes pour combler la demande sur les postes de préimpression, les employeurs prévoient d’importantes difficultés de recrutement sur les postes d’impression et de finition.
Ces difficultés ne sont pas étrangères à la baisse de fréquentation des formations qui mènent à ces emplois soit le DEC techniques de l’impression, l’AEC impression off set, l’AEC impression flexographique, le DEP imprimerie et le DEP reprographie et façonnage. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2016, le nombre de diplômés dans ces programmes d’études – que nous avons regroupés pour les besoins de la présentation – n’était plus que de 41 personnes.
Nombre de diplômés des programmes d’études de la formation professionnelle et technique menant aux métiers de l’imprimerie, 2000 à 2016
Sources : Formation technique, MEES, TSE, DGSEG, DIS, Portail informationnel, système Socrate, données au 2018-02-24. Formation professionnelle, MEES, TSE, DGSEG, DIS, Portail informationnel, système Charlemagne, données au 2018-02-12.
Confrontées à ce phénomène, les établissements scolaires sont tentés de fermer leurs programmes. La situation est d’autant préoccupante que les métiers auxquels ils menaient exigent maintenant un plus haut niveau de compétences techniques, numériques et cognitives.
Qualifier la main-d’œuvre en emploi
Cette situation interpelle le CSMOCGQ, confronté qu’il est aux besoins urgents de main-d’œuvre qualifiée de la part des entreprises qui entreprennent de croître à nouveau. Pour l’heure, il existe des programmes qui permettent de qualifier la main-d’œuvre dont les entreprises disposent déjà. Ce sont les programmes d’apprentissage en milieu de travail (PAMT) qui mènent à l’obtention de certificats de qualification professionnelle (CQP) décernés par Emploi-Québec. L’industrie de l’imprimerie en compte un bon nombre couvrant les métiers suivant : estimateurs en communications graphiques, pressiers sur presse flexographique, pressiers sur presse offset à feuilles, pressiers sur presse sérigraphique, pressiers sur presse offset rotative, opérateur d’équipements en finition-reliure, opérateurs de procédés complémentaires, alimenteur en imprimerie et plus récemment, techniciens en impression numérique. Les premiers ont vu le jour en 1996, mais c’est à partir de 2005 qu’ils prennent leur essor, au moment même où les programmes de la formation professionnelle et techniques amorcent une décroissance définitive.
Nombre de détenteurs d’un certificat de qualification professionnelle (CQP) menant aux métiers de l’imprimerie, 2000 à 2016
Source : CSMOCGQ, octobre 2018
Est-ce que les CQP peuvent compenser le « manque à gagner » de la formation professionnelle et technique ? Nos interlocuteurs se montrent perplexes. Stéphane Labrie rappelle que la formation est dispensée par un compagnon et qu’elle est aussi évaluée par lui, ce qui rend la qualité des CQP tributaire des compétences du formateur. « J’ai vu des gens, dira-t-il, qui ont bien appris avec un PAMT parce qu’ils avaient été bien encadrés par un compagnon qui avait les connaissances ». Cependant, les CQP ne remplacent pas un DEC ou un DEP parce « qu’on ne transmet pas les connaissances théoriques du métier et qu’il n’y a pas d’examen final » ajoute Dimitri Lesage. Cela n’empêche pas qu’ils aient une valeur ajoutée sur le plan de la transmission des savoir-faire.
Depuis peu, il existe un programme de la CPMT qui permet de financer des formations professionnelles et techniques de courte durée à destination des travailleurs et travailleuses en emploi. Les COUD – nom du programme – s’inspirent de la formation duale comportant une part de formation en établissement et une part de formation en entreprise. Au moment de l’entretien, le Comité était en train de développer son premier COUD en collaboration avec le Cégep Ahuntsic pour former des opérateurs de presses flexographiques. Selon Stéphane Labrie, l’intérêt est double pour les employeurs « d’une part, les employés vont avoir une meilleure formation académique et d’autre part, ils vont faire toute leur formation pratique sur les équipements de l’entreprise ».
Est-ce que les COUD peuvent remplacer la formation professionnelle et technique ? Le CSMOCGQ s’interroge car il s’agit de deux types de formations qui s’adressent à des clientèles différentes. En outre, le DEC forme sur plusieurs procédés et techniques de travail alors que les entreprises n’ont pas nécessairement tous les équipements pour le faire.
Le PAMT et le COUD répondent à des enjeux de court et moyen termes. Bien qu’essentiels, ils ne peuvent répondre à tous les besoins de formation du secteur. D’une part, ces programmes sont un moyen de mettre à niveau une main-d’œuvre dont les entreprises disposent déjà ou qu’elles embauchent pour former. D’autre part, ce sont des formations pointues qui n’ont pas pour objectif de développer une main-d’oeuvre polyvalente avec un degré élevé de technicité.
Qualifier la main-d’œuvre pour demain
Le problème de la désaffection des étudiants pour les programmes d’études de la formation professionnelle et technique menant aux métiers de l’impression reste entier.
Pour certains, c’est l’industrie qui est en cause. L’image est ancienne, les salaires sont peu élevés, le style de gestion des employeurs ne correspond pas aux besoins des jeunes générations, etc. Pour d’autres, ce sont les programmes d’études qui ne les attirent pas puisqu’ils n’ont pas été renouvelés depuis une dizaine d’années. Or, des acteurs de l’industrie nous confiaient, en 2014, qu’il y avait eu plus de transformations depuis 2004 qu’au cours des trente précédentes années et que les changements qui s’en venaient étaient encore plus importants8). Pour eux, il était clair que la publicité ne suffisait déjà plus et qu’il fallait faire évoluer les programmes.
Si l’on souhaite attirer des jeunes dans l’industrie de l’imprimerie, nous savons dorénavant qu’il faut quasiment tout revoir. C’est tout un défi, mais il est essentiel pour préserver (voire augmenter) la compétitivité des imprimeries québécoises à l’aurée de l’industrie 4.0.
Notes
- Tousignant, P. (2012). Déclin du secteur manufacturier au Québec et ailleurs. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, juin.
- BRIDGR (2018, 9 juillet). Comment faire face à la pénurie de main d’oeuvre manufacturière ?
- Idem.
- Charest, M. (2018, 3 mars). Panne de main-d’œuvre chez nos manufacturiers.
- Sampson, X. (2018, 20 septembre). La pénurie de main-d’œuvre décortiquée.
- Le CSMO des communications graphiques représente en totalité le secteur de l’impression et des activités connexes (SCIAN 3231). Il représente aussi, mais partiellement, quelques autres industries dont celles de la fabrication de produits en papier (SCIAN 3222) et celles de la fabrication de produits en plastique (3261). Pour le détail des industries représentées par ce CSMO, consultez les diagnostics sectoriels publiés en 2018, sur ce lien.
- CSMOCGQ (2018). Diagnostic sectoriel de l’industrie des communications graphiques du Québec. Montréal, l’auteur, février.
- Hart, S.A. et Villien, C. (2014). Adéquation formation-emploi dans l’industrie de l’imprimerie sur l’Île de Montréal. Montréal, CSMOCGQ.

Extrait
Des diplômés qui sortent au compte-gouttes, des programmes d’études qui ferment. Pour compenser, on développe des dispositifs de formation alternée ou d’apprentissage en entreprise pour former la main-d’oeuvre en emploi. Bien que ces initiatives soient essentielles, elles laissent entière la capacité des industries et des écoles à attirer les jeunes dans des programmes de formation initiale qui mènent aux emplois manufacturiers. Il faut tout revoir courageusement et collectivement si l’on souhaite que nos entreprises prennent le virage de l’industrie 4.0.