Adéquation formation-emploi : de quoi parle-t-on ?

Par Félix B. Simoneau
Publié dans le Bulletin de l’OCE : Juin 2017 | Vol. 8 | N°1

Depuis quelques années, l’adéquation formation-emploi est considérée comme l’un des principaux défis économiques du Québec. De nombreuses actions publiques ont été mises en œuvre en ce sens (1). Toutefois, s’il y a consensus sur l’importance de l’adéquation, les désaccords persistent sur le diagnostic de la situation et les actions à privilégier.

Alors que les représentants patronaux dénoncent un manque d’adaptation et de flexibilité de la formation (CPQ, 2017; FCCQ, 2017), les institutions d’enseignement affirment adapter constamment la formation aux besoins des entreprises et du marché du travail (Letarte, 2015a, 2015b; 2015c). Quant au gouvernement, il évoque des problématiques d’inadéquation basées sur les statistiques nationales qui sont éloignées de la vision qu’en ont les acteurs terrain (Emploi-Québec, 2015; Richer, 2017). Cette divergence de points de vue amène à se questionner sur ce que les acteurs entendent par adéquation formation-emploi et la façon dont ils posent leur diagnostic.

En fait, cette notion est polysémique. Il n’y a pas une, mais plusieurs adéquations possibles. Dès 1986, les travaux de recherche de Lucie Tanguy démontrent qu’il n’y a pas de correspondance univoque entre la formation et l’emploi malgré les croyances à cet effet (Lemistre et Bruyère, 2009). Depuis, les travaux de recherche ont démontré que les relations entre formation et emploi sont plurielles et multidimensionnelles et qu’il est possible d’établir de multiples correspondances entre les deux univers selon différentes approches théoriques, méthodologiques et pratiques. Il est donc facile de s’y perdre.

Nous proposons quatre repères pour guider la compréhension des échanges, saisir les nuances et prévenir les malentendus potentiels sur l’adéquation formation-emploi.

Quatre repères pour définir l’adéquation formation-emploi

Les finalités

Vincens (2005) souligne judicieusement qu’il est primordial de définir les finalités que l’on attribue aux relations entre la formation et l’emploi. Que met-on en correspondance ? Un nombre d’emplois à pourvoir et un nombre de diplômés ? Une formation et des activités de travail ? Une formation et des compétences génériques ? Une formation et l’employabilité de la main-d’œuvre ? Quel est le but de cette correspondance ? L’augmentation de la productivité ? L’intégration en emploi ? Le développement des compétences de la main-d’œuvre ?

Une fois que nous avons réponse à ce questionnement, reste à situer ces finalités.

Les niveaux macro, méso et micro

Pour ce faire, les trois catégories génériques utilisées en sciences sociales et en économie sont particulièrement utiles : macro, méso et micro.

Au niveau macro, la recherche d’adéquation se fait en fonction des besoins définis par des indicateurs économiques et des décisions politiques. Les acteurs impliqués, principalement le gouvernement, ses agences et les partenaires sociaux, cherchent à assurer un équilibre entre les prévisions et les orientations économiques et/ou sociales, le niveau de qualification de la main-d’œuvre et les dispositifs éducatifs et de perfectionnement de la main-d’œuvre. Ils visent à combler les besoins en main-d’œuvre dans les différents secteurs économiques en fonction des prévisions.

Au niveau méso, la recherche d’adéquation s’effectue en fonction des besoins des secteurs d’activités, des professions ou encore des régions. Les acteurs, des regroupements sectoriels, professionnels, régionaux ou autres, cherchent à développer des connaissances et des compétences transversales à plusieurs milieux de travail de manière à assurer la qualification d’un ensemble de travailleurs. L’objectif est de maintenir un niveau de main-d’œuvre adéquat pour les besoins actuels et futurs des secteurs d’activités, des professions ou des régions.

Au niveau micro, l’adéquation recherchée fait référence à un besoin de formation précis de l’entreprise ou de l’individu. D’un côté, les entreprises cherchent des formations adaptées à leur réalité pouvant les aider à se maintenir et se développer dans un monde concurrentiel. De l’autre côté, les individus cherchent une formation qualifiante et transférable qui leur permettra d’augmenter leur employabilité. Dans un cas comme dans l’autre l’objectif de l’adéquation est de répondre le plus précisément possible à un besoin particulier.

Distinguer les types d’adéquation

La distinction traditionnelle entre méthodes quantitatives et qualitatives permet de préciser la perspective d’analyse à partir de laquelle on aborde l’adéquation.

L’adéquation dite quantitative renvoie à un état d’équilibre entre une quantité de main-d’œuvre formée et une quantité d’emplois disponibles (Giret et Lopez, 2005). L’analyse se fait à l’aide des données d’enquêtes et de prévisions sur le marché du travail et vise des objectifs de création d’emplois ou de redistribution des ressources dans le cadre de politiques industrielles, de politiques de main-d’œuvre ou de politiques éducatives (Méhaut, 2001). Une grande partie des travaux réalisés par Emploi-Québec et le ministère du Travail, de l’emploi et de la Solidarité sociale s’inscrit dans cette perspective.

L’adéquation dite qualitative renvoie, quant à elle, à une correspondance entre le contenu d’une formation et les activités de travail (Giret et Lopez, 2005). L’analyse se fait à l’aide de catégories définies par les acteurs qui participent à l’élaboration des programmes de formation. On cherche ici à évaluer les effets de la formation sur le travail des employés en fonction des objectifs de la formation (ex : augmentation de la productivité, résolution d’une problématique au travail, amélioration de la communication, etc.). Plusieurs interventions des acteurs du milieu de l’éducation et du travail s’inscrivent dans cette perspective.

Mesurer l’adéquation

Les trois types d’évaluation relevés par Rose (2005) : statistique, normative et subjective permettent de préciser la façon dont on mesure l’adéquation formation-emploi.

L’évaluation statistique consiste en l’analyse des données sur la formation et l’emploi. Il s’agit essentiellement d’établir une correspondance entre le nombre de personnes formées et le nombre d’emplois disponibles et/ou occupés pour élaborer un portrait de la situation.

L’évaluation normative de l’adéquation consiste en une évaluation des contenus de formation en lien avec une norme telle qu’une compétence ou un diplôme. Cette évaluation repose sur le jugement d’experts des milieux de l’éducation et du travail qui doivent déterminer de la qualité d’une formation en lien avec des critères prédéterminés par ladite norme.

L’évaluation subjective est quant à elle issue du jugement que les acteurs font de la correspondance entre une formation et un emploi. Les employeurs et/ou travailleurs vont évaluer la pertinence de la formation selon leurs propres critères et leur expérience.

Il est possible et même souhaitable de combiner plusieurs types d’évaluation pour établir un diagnostic plus précis d’une situation d’adéquation ou d’inadéquation.

Les repères en action, deux exemples

Les points de vue exprimés par les acteurs peuvent être situés à l’aide des repères, résumés dans la figure ci-dessous.

Repères précisant l’adéquation formation-emploi

Finalité

Niveau

Type

Évaluation

But de la correspondance formation-emploi

Macro

Quantitative

Statistique

Méso

Qualitative

Normative

Micro

Subjective

Le premier exemple, ce sont les récentes interventions du Conseil du patronat qui ont fait état d’une situation d’inadéquation entre les besoins en main-d’œuvre des entreprises et l’offre de formation du système scolaire (CPQ, 2016; 2017). Ce constat s’appuie sur les résultats d’un sondage réalisé auprès des employeurs qui montre que 70% d’entre eux ont de la difficulté à pourvoir des postes vacants à cause d’un manque de candidats qualifiés. Pour le CPQ, la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée constitue la « pierre angulaire » du succès des entreprises et de l’économie du Québec ce qui nécessite une plus grande flexibilité de l’offre de formation pour répondre aux besoins du marché du travail. En mobilisant les repères, on peut comprendre que le diagnostic du CPQ s’appuie sur une évaluation de type subjective pour identifier, au niveau macro, une inadéquation quantitative entre un nombre de personnes qualifiées et un nombre d’emplois.

Plusieurs combinaisons sont possibles. Voici deux exemples.

Point de vue du CPQ

Finalité

Niveau

Type

Évaluation

Répondre aux besoins économiques par une mise en correspondance d’un nombre de personnes qualifiées pour un nombre d’emplois donnés.

Macro

Quantitative

Subjective

Le second exemple provient d’un communiqué du Comité sectoriel de main-d’œuvre de la métallurgie du Québec (CSMO-M) qui fait état d’une situation d’adéquation entre une formation en métrologie et les besoins des fonderies et des PME du secteur de la métallurgie (CSMO-M, 2016). Pour le CSMO-M, la préparation et l’exécution des opérations de mesurage sont essentielles à la qualité de la production des entreprises. En ciblant spécifiquement les compétences liées à cet enjeu et en mobilisant les mêmes instruments de mesure utilisés dans les entreprises, la formation en métrologie est jugée en adéquation avec les besoins des entreprises du secteur. À l’aide des repères, on comprend que le diagnostic du CSMO-M s’appuie sur une évaluation de type normative pour identifier, au niveau méso, une adéquation qualitative entre les compétences ciblées dans une formation et les emplois du secteur de la métallurgie.

Point de vue du CSMO-M

Finalité

Niveau

Type

Évaluation

Répondre aux besoins de main-d’œuvre d’un secteur par une mise en correspondance de compétences avec des emplois.

Méso

Qualitative

Normative

Vers un débat plus éclairé

L’utilisation des repères tels que finalité, niveaux, types et mesures de l’adéquation(2) peut aider à clarifier les débats en définissant des points de référence communs quant aux correspondances recherchées entre la formation et l’emploi. Cela permettrait aux acteurs des milieux gouvernemental, éducatif et du travail de préciser leur diagnostic d’adéquation ou d’inadéquation selon une base de comparaison commune. Alors que le gouvernement du Québec veut s’appuyer sur les recommandations des partenaires sociaux pour orienter ses interventions en matière d’adéquation formation-emploi, il nous semble primordial de clarifier le débat.

Notes

1 -

Pensons notamment à la Loi 90, le Pacte pour l’Emploi, le Plan d’action éducation, emploi et productivité, la Rencontre nationale sur l’adéquation formation-emploi, la Loi 70 ou encore la Rendez-vous national sur la main-d’œuvre.

2 -

Il en existe d’autres. Voir les travaux du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) dont le principal objet de recherche est les relations formation-emploi.

Références

Comité sectoriel de main-d’œuvre de la métallurgie du Québec. (2016, 14 mars). Une formation de base en métrologie adaptée aux besoins des fonderies et des PME du secteur de la métallurgie : [Communiqué]. Récupéré le 26 mai 2017 de https://www.metallurgie.ca/isabelle/communique-metrologie.pdf

Conseil du patronat du Québec. (2017). Recommandations du Conseil du patronat du Québec (CPQ) dans le cadre du Rendez-vous national sur la main-d’œuvre les 16 et 17 février. Montréal : l’auteur. Récupéré le 10 mai 2017 de https://www.cpq.qc.ca/wp-content/uploads/2017/02/memoire160217.pdf

Conseil du patronat du Québec et Léger Recherche Stratégie Conseil. (2016). Sondage auprès des employeurs québécois. Montréal : l’auteur. Récupéré le 20 mai 2017 de https://www.cpq.qc.ca/wp-content/uploads/2017/02/sondage1016.pdf

Emploi-Québec. (2015). Plan d’action 2015-2016. Québec : Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, l’auteur.

Fédération des chambres de commerce du Québec. (2017). Des compétences pour le Québec du XXIe siècle. Les propositions de la FCCQ. Montréal et Québec : l’auteur.

Giret, J.-F. et Lopez, A. (2005). Introduction générale. Dans Giret, J.-F., Lopez, A. et Rose, J. (dir.), Des formations pour quels emplois? Paris : La Découverte. CÉREQ.

Lemistre, P. et Bruyère, M. (2009). Spécialités de formation et d’emploi : comprendre l’absence de correspondance. Net.Doc, 52, 1-23.

Letarte, M. (2015a, 12 août). Du nouveau à la CSDM. La Presse. Récupéré le 20 avril de https://affaires.lapresse.ca/portfolio/formation-professionnelle/201508/12/01-4892130-du-nouveau-a-la-csdm.php

Letarte, M. (2015b, 12 août). Le collégial s’adapte aux besoins du marché. La Presse. Récupéré le 20 avril de https://affaires.lapresse.ca/portfolio/formation-professionnelle/201508/12/01-4892125-le-collegial-sadapte-aux-besoins-du-marche.php

Letarte, M. (2015c, 12 août). L’Université de Montréal cible les PME. La Presse. Récupéré le 20 avril de https://affaires.lapresse.ca/portfolio/formation-professionnelle/201508/12/01-4892120-luniversite-de-montreal-cible-les-pme.php

Méhaut, P. (2001). Gouverner les systèmes de formation professionnelle: planification, marché, coordination? Formation emploi, 76, 225-234.

Richer, J. (2017, 16 février). Québec veut une meilleure adéquation entre formation et monde du travail. La Presse. Récupéré le 18 avril de https://affaires.lapresse.ca/economie/quebec/201702/16/01-5070215-quebec-veut-une-meilleure-adequation-entre-formation-et-monde-du-travail.php

Rose, J. (2005). Conclusion générale. Dans Giret, J.-F., Alberto Lopez et José Rose (dir.), Des formations pour quels emplois? (p. 367-377). Paris : La Découverte, CÉREQ.

Vincens, J. (2005). L’adéquation formation-emploi. Dans Giret, J.-F., Alberto Lopez et José Rose (dir.), Des formations pour quels emplois? (p. 149-162). Paris : La Découverte, CÉREQ.

Adéquation formation-emploi: qu'est-ce que c'est?

Extrait

L’adéquation formation-emploi est considérée comme l’un des principaux défis économiques du Québec. Toutefois, s’il y a consensus sur l’importance du phénomène, les désaccords persistent sur le diagnostic de la situation et les actions à privilégier. Cela n’est pas étonnant parce que cette notion est hautement polysémique. Ainsi, n’y a-t-il pas une, mais plusieurs adéquations (ou inadéquations) possibles. Voici quatre repères pour guider la compréhension des échanges, saisir les nuances et prévenir les malentendus potentiels sur le sujet.

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