Le système d’apprentissage de l’Ontario
Au Québec, nous avons privilégié le « tout à l’école » pour la formation professionnelle et technique. Confiné aux métiers de la construction et aux métiers qui comportent des risques sur sécurité publique, il faut attendre les années 90 pour voir apparaître un système d’apprentissage qui s’étend à plusieurs secteurs d’activités. Si bien qu’aujourd’hui, nous avons trois systèmes d’apprentissage : les métiers réglementés de la construction, les métiers réglementés et le programme d’apprentissage en milieu de travail (PAMT) d’Emploi-Québec.
Première province à mettre en place un système d’apprentissage réglementé par le gouvernement en 1928, l’Ontario n’en a qu’un seul. Tout au long du XXe siècle, nos voisins ont préservé ce mode de formation tout en développant une solide formation professionnelle et technique en établissement.
À quoi ressemble le système d’apprentissage ontarien? Le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES), qui vient de publier une étude relativement exhaustive sur le sujet, offre une belle occasion de le présenter. Pourquoi s’y intéresser? Parce que la comparaison permet de mieux cerner les caractéristiques des nôtres et de voir différemment les défis auxquels nous sommes confrontés.
Sommaire
- Une clientèle d’adultes
- Des métiers spécialisés
- Des programmes par compétences
- Une formation « en classe » dispensée par les collèges
- Deux certificats
- Le parcours traditionnel
- Mais aussi la concomitance
- Un crédit d’impôt pour les entreprises
- Un faible taux d’achèvement des programmes
- Matière à réflexion
- Les programmes d’apprentissage en Ontario sont de niveau post-secondaire; comme toute la formation professionnelle et technique de cette province, par ailleurs (voir autre article de ce numéro). Il faut avoir 18 ans et complété ses études secondaires pour s’y inscrire.
- Si bien que la majorité des apprentis (78%) a obtenu le diplôme d’études secondaires de l’Ontario, le DÉSO, avant d’entreprendre l’apprentissage. Une minorité (6%) a même suivi une scolarité post-secondaire. Ce qui porte à 16% la proportion d’apprentis qui n’a pas le DÉSO; ce sont là des apprentis qui se sont vus accordé un niveau de scolarité équivalent.
- La moyenne d’âge des apprentis est élevée (29 ans). La moitié ayant plus de 20 ans et le tiers, plus de 30 ans.
- Par conséquent, le choix de l’apprentissage n’en n’est pas un « fait en continuité ». Les apprentis ont d’abord quitté le système scolaire avant de revenir chercher une qualification via l’apprentissage.
- Il existe 156 programmes d’apprentissage en Ontario.
- Ces programmes mènent à l’exercice de métiers spécialisés dans quatre secteurs : construction, fabrication, services et force motrice.
- On peut consulter la liste sur le site de l’Ordre des métiers de l’Ontario.
- Parmi ces métiers, il y en a qui sont à « accréditation obligatoire » et d’autres à « accréditation facultative ». Actuellement, il y a 22 métiers dont l’accréditation est obligatoire.
- Les programmes s’échelonnent sur deux à cinq ans selon le métier ou la profession.
- L’apprentissage ontarien se décline en deux parties : un apprentissage en milieu de travail (90%) et une formation scolaire dite « en classe » (10%).
- Pour l’une et l’autre, il y a une durée déterminée en termes d’heures. Pour donner un exemple, prenons le métier régleur-conducteur de machines-outils. L’apprentissage en milieu de travail s’échelonne sur 7 280 heures et, la formation « en classe », sur 720 heures.
- Pour chacune des parties, il y a une norme d’apprentissage et une norme de formation.
- Les deux normes sont élaborées par l’Ordre des métiers de l’Ontario : la première, en concertation avec des représentants du métier; la seconde, en concertation avec des représentants du métier et des enseignants.
- La norme d’apprentissage est rédigée par compétences, éléments de compétences et « objectifs de rendement ». Les parentés sont fortes avec l’architecture du PAMT québécois. Pour le constater, télécharger la norme d’apprentissage du métier régleur-conducteur de machines-outils.
- La norme de formation est aussi rédigée par compétences. Elle porte sur les savoirs scientifiques, technologiques, du génie et des mathématiques, les STGM1) essentiels au développement professionnel dans un métier donné.
- La majorité des programmes d’apprentissage comprend deux ou trois niveaux de formation; rarement un seul.
- Il y a une norme de formation pour chacun des niveaux. Reprenons le métier régleur-conducteur de machines-outils. Le niveau 1 correspond au tronc commun des métiers de l’usinage. Le niveau 2 correspond aux savoirs de niveau intermédiaire et le niveau 3, aux savoirs de niveau avancé.
- Pour consulter les normes relatives à tous les autres métiers, consulter cette page du site de l’Ordre des métiers de l’Ontario.
- La formation « en classe » est dispensée par les collèges publics ou privés de l’Ontario ou un autre établissement d’enseignement agréé par le Ministère de la formation, des collèges et universités.
- La formation « en classe » emprunte trois modalités. Des stages d’études à temps complet en établissement d’une durée de six à douze semaines; des études à temps partiels de jour ou de soir en établissement échelonnées sur une année scolaire; des études en ligne.
- L’apprentissage en Ontario donne lieu à deux certificats. Un certificat d’apprentissage et un certificat de qualification professionnelle.
- Le ministère de la Formation, des Collèges et Universités (MFCU) décerne ces deux certifications.
- Pour obtenir le certificat d’apprentissage, il suffit d’avoir complété l’apprentissage en milieu de travail et la formation en classe.
- L’acquisition des compétences de l’apprentissage en milieu de travail est évaluée par l’entreprise même qui forme l’apprenti, comme c’est le cas pour le PAMT québécois.
- Les acquis de la formation « en classe » sont évalués en établissement, par les enseignants.
- Pour obtenir le certificat de qualification professionnelle, il faut se soumettre à un examen provincial. Précisons que ce certificat peut être obtenu pour 75 métiers, dont les 22 dont l’accréditation est obligatoire.
- Le parcours traditionnel menant à l’apprentissage, celui qui est aussi le plus emprunté, c’est un choix fait tardivement après avoir été sur le marché du travail ou après avoir poursuivi des études collégiales en établissement sans les avoir complétées, souvent.
- L’initiative de l’accès au programme d’apprentissage repose sur les individus (et non sur les entreprises comme pour le PAMT). Une personne doit trouver un employeur prêt à s’engager dans le processus. Si elle n’est pas déjà à l’emploi de cet employeur, elle le devient. Ensuite, c’est elle qui est responsable de son carnet d’apprentissage.
- Emploi-Ontario administre le programme au niveau local. Les ententes d’apprentissage sont pilotées par un conseiller en emploi et en formation et le travail qu’il réalise s’apparente à celui des agents d’Emploi-Québec responsables du PAMT en région. Il faut dire toutefois qu’Emploi-Ontario relève du MFCU.
- Les deux autres parcours sont réalisés en concomitance avec des études secondaires ou post-secondaires.
- Pour les jeunes du secondaire, l’apprentissage est accessible dès la 11e année, dans le cadre du Programme d’apprentissage pour les jeunes – le PAJO. À ce stade, cependant, programme d’apprentissage est réalisé à temps partiel via la formule de l’éducation coopérative. Très peu d’élèves sont parrainés par un employeur.
- Pour les étudiants des collèges, il est aussi possible de débuter un programme d’apprentissage tout en poursuivant des études en établissement, dans un domaine connexe. C’est le Programme d’apprentissage-diplôme – le PAD, un dispositif récent.
- Sans entrer dans les détails des sources de financement pour les collèges et les apprentis, il est intéressant de constater que les employeurs ontariens peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt. Ils peuvent réclamer entre 35% et 45% des salaires et des avantages sociaux des apprentis (le crédit maximal étant de 10 000 $ par année pendant quatre ans).
- Le problème majeur de l’apprentissage en Ontario, c’est le faible taux d’achèvement des programmes. Un taux moyen d’achèvement de 37% établi sur 12 ans positionne la province bonne dernière avec l’Alberta, la Colombie Britannique, Terre-neuve qui performent un peu mieux qu’elle (Refling et Dion, 2015 : 43).
Au chapitre des ressemblances, l’apprentissage en Ontario est une voie empruntée par des adultes, ce qui est d’ailleurs le cas du Canada et des États-Unis (OIT et Banque Mondiale, 2013 : 7). Il porte sur des métiers spécialisés, en bonne partie les mêmes que l’on retrouve dans nos trois systèmes d’apprentissage. Les normes d’apprentissage ont une grande parenté avec les normes professionnelles qui balisent le PAMT. Elles sont rédigées par compétences, éléments de compétences et « objectifs de rendement ». Les entreprises ontariennes qui s’engagent dans un processus d’apprentissage peuvent bénéficier de crédits d’impôt comparables aux entreprises québécoises. Enfin, l’évaluation des compétences acquises en entreprise est faite par le compagnon de l’entreprise qui est aussi responsable de la formation de l’apprenti.
Au chapitre des différences, le système d’apprentissage ontarien semble plus exigeant. Pour y avoir accès, il faut avoir complété le diplôme d’études secondaires de l’Ontario, le DÉSO. De plus, 10% du programme doit être réalisé « en classe ». Au Québec, l’apprentissage dans les métiers de la construction requiert l’obtention préalable d’un diplôme, en l’occurrence le DEP; une exigence qui peut être levée en cas de pénurie de main-d’œuvre. Les métiers réglementés d’Emploi-Québec comportent aussi des exigences de formation théorique. En outre, dans les deux cas, il faut se soumettre à un examen de qualification pour obtenir la certification.
Des trois systèmes, c’est le Programme d’apprentissage en milieu de travail (PAMT) qui semble le moins exigeant comparativement au système ontarien. Il ne comporte ni préalables scolaires, ni scolarité obligatoire, ni examens et l’évaluation des compétences acquises relève du compagnon qui est aussi le formateur de l’apprenti, ce qui peut être perçu par certains comme une faiblesse du dispositif. Sur ce dernier point, le système ontarien est très inspirant. Il propose deux certifications, la seconde venant renforcer la première : un certificat d’apprentissage ou l’évaluation de la maîtrise des compétences est faite par le compagnon qui forme l’apprenti et un certificat de qualification professionnelle qui exige la passation d’un examen.
En ce qui a trait aux exigences de scolarité, nous avons vu que le problème majeur du système ontarien est le faible taux d’achèvement des programmes. En fait, les apprentis terminent la formation en entreprise négligeant de compléter la scolarité du programme en grande partie parce que les cours se donnent sous la forme de périodes (Refling et Dion, 2015 : 35) impliquant un retour au collège à temps plein ou partiel. Il est à noter que les autres provinces partagent aussi cette problématique (Laporte et Mueller, 2012).
Bien que plusieurs estiment que l’absence de formation sur les STGM liés aux métiers, soit une des faiblesses du PAMT, à tout le moins un frein certain à sa capacité à former à l’exercice de métiers complexes, si l’on souhaite le renforcer par des exigences de formation théorique, il faudra innover sur les modalités de dispensation. L’expérience ontarienne est très claire sur ce point : la formation « en classe » en établissement sur de longues périodes ne convient pas à des adultes en emploi qui ont des responsabilités familiales. La solution est peut-être davantage du côté de la formation en ligne. On peut aussi s’inspirer des métiers réglementés pour le PAMT: une formation théorique obligatoire pour les métiers complexes (ceux qui ont une formation professionnelle ou technique pourraient en être exemptés), quant aux métiers semi-spécialisés on pourrait juger que les requis de formation théorique ne sont pas nécessaires).
Notes
- STGM est la traduction de STEM, acronyme américain qui désigne les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques. La préoccupation des américains pour les STEM est considérable. Datant de la fin du siècle dernier, elle témoigne de l’importance que prennent ces savoirs dans les sociétés technologiquement avancées.
Références
Refling, E., et N. Dion (2015). L’apprentissage en Ontario : Une analyse exploratoire. Toronto, Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur.
Organisation internationale du Travail et Banque mondiale (2013). Towards a Model Apprenticeship Framework : A Comparative Analysis of National Apprenticeship Systems. Genève, OIT.
Laporte, C. et Mueller, R. E. (2012). Reconnaissance professionnelle, achèvement des programmes d’apprentissage et salaires des apprentis inscrits au Canada. Statistique Canada, Document de recherche.
Stewart, Graeme (2009). La formation en apprentissage en Ontario : Étude documentaire et pistes de recherche. Toronto, Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur.

Extrait
L’Ontario vient tout juste de faire paraître une étude exhaustive sur son système d’apprentissage. Nous verrons que, s’il est semblable aux nôtres par la clientèle — ce sont des adultes — et par l’approche par compétences, il est aussi plus exigeant, notamment en termes de « scolarité obligatoire ». Par ailleurs, celle-ci est un des facteurs responsables du faible taux d’achèvement des programmes; une problématique apparemment canadienne. L’élément le plus intéressant : l’existence d’une double certification.