Le programme d’apprentissage du Québec

Par Sylvie Ann Hart
Publié dans le Bulletin de l’OCE : Août 2019 | Vol. 9 | N°3

En mai 2012, les ministres du Travail et de l’Emploi du G20 se sont accordés, à Guadalajara au Mexique, sur le fait que les pays devraient : « …promouvoir et, si nécessaire, renforcer des systèmes d’apprentissage de qualité… » (OIT, 2014). La formation en apprentissage est une tendance internationale parce que les États y voient un moyen de réduire le chômage des jeunes, le décrochage scolaire et la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, ou tout cela à la fois, dépendamment de la problématique à laquelle ils sont confrontés (Hart, 2015a).

Cette situation en tête, nous nous sommes intéressés à la formation en apprentissage institutionnalisée, celle qui donne lieu à des systèmes ou des programmes d’apprentissage. Nous avons présenté ceux de l’Europe (Tousignant, 2012), celui de l’Australie (Hart, 2012a) et plus près de nous, celui de l’Ontario (Hart, 2015). Nous avons vu que dans la plupart des pays européens, la formation professionnelle en école coexiste avec la formation en apprentissage et que c’est aussi le cas aux États-Unis et au Canada.

Au Québec, la formation en apprentissage a disparu au tournant des années 60 du siècle dernier, absorbée par le système scolaire. Il faut attendre les années 90 pour voir naître un programme d’apprentissage généraliste, le « Régime de qualification », remplacé au tournant des années 2000 par le « Programme d’apprentissage en milieu de travail », tous deux gérés par le ministère du Travail, de la Solidarité sociale et de l’Emploi.

Essor

Depuis 30 ans, le Programme d’apprentissage en milieu de travail (PAMT) a pris un véritable essor. Aujourd’hui, dans certains secteurs – entre autres ceux dont les programmes d’études préparent à l’exercice de métiers manufacturiers – il produit presque autant de certifiés que les programmes de formation professionnelle de diplômés. Dans le seul secteur de la fabrication métallique industrielle, c’est entre 1500 et 2000 ententes PAMT qui sont signées bon an mal an (Riverin, 2016). Il y a même des industries où le PAMT est devenu le principal dispositif de qualification de la main-d’oeuvre. C’est le cas de l’imprimerie que nous avons documenté (Hart, B. Simoneau et Chochard, 2018).

Impacts

En 2009, le Comité sectoriel des portes et fenêtres, du meuble et des armoires de cuisine nous a confié la réalisation d’une enquête sur les PAMT (Hart, 2010). Il souhaitait connaître les effets de cette formation en apprentissage sur les employés et les entreprises de ses secteurs d’activités. Au terme d’un échantillonnage rigoureux et d’une sollicitation faite selon les règles de l’art, 146 entreprises ont participé à cette enquête. À elles toutes, elles avaient signé 25 % des ententes et formé 40 % des apprentis dans les programmes en ébénisterie, peinture-finition, rembourrage et assemblage de portes et fenêtres depuis que ces programmes existent. Nous avons interviewé ces entreprises sur leur perception des effets du PAMT.

Dans l’ensemble, elles estiment que le PAMT améliore la qualité du travail (82 %) des employés, leur polyvalence (80 %), leur autonomie (75 %) et leur productivité (63 %). Cette perception est suivie de gestes concrets puisqu’elles mentionnent confier aux employés qui terminent un PAMT des nouvelles tâches (92,1 %), pour l’essentiel, plus diversifiées (90,1 %), plus complexes (76 %) et mieux rémunérées (73,4 %). Le changement de poste ou d’emploi et/ou l’obtention d’une promotion touchent une proportion moindre d’entre eux (43,5 %). Interviewées, en outre, sur leur préférence à l’embauche d’un employé détenant un Certificat de qualification professionnelle (certification du PAMT) ou d’un Diplôme d’études professionnelles (DEP) du ministère de l’Éducation, elles ont majoritairement opté pour le premier à hauteur de 53 % contre 30 %. Une telle enquête mériterait d’être reproduite à grande échelle. Toutefois, les résultats montrent l’utilité et la pertinence du PAMT tel qu’il existe pour les entreprises, malgré ses quelques lacunes.

Enjeux

Le PAMT se démarque par le fait qu’il ne comporte pas une part de formation en école (ou de formation théorique) alors que dans les autres pays, la formation en apprentissage a évolué au cours du XXe siècle en se dotant d’une contrepartie scolaire. Près de nous, en Ontario, les programmes d’apprentissage comportent 10 % de formation « en classe » (Hart, 2015).

L’explication de cette situation remonte à la création du dispositif. À l’origine, le PAMT, qu’on appelait alors Régime de qualification (RQ), a été conçu pour donner aux diplômés de la formation professionnelle (DEP) un accès aux examens du Sceau rouge (Le Sceau Rouge est une norme canadienne qui permet aux gens de métier de travailler dans toutes les provinces). Considérant cette situation, il n’était donc pas nécessaire d’assortir le RQ de savoirs théoriques puisqu’ils étaient transmis dans le DEP.

Au fil des années, on a permis aux entreprises d’inscrire au Régime de qualification (et plus tard au PAMT) des employés qui ne détenaient pas de DEP. Ils pouvaient compléter tout le programme du RQ ou du PAMT, mais pour obtenir le CQP (certification sanctionnant le RQ et le PAMT), ils devaient retourner aux études pour compléter un DEP. La situation eut des conséquences sur le taux de certification du programme.

La première solution envisagée pour corriger le tir fut d’assortir les RQ de « modules hors production », obligatoires pour un temps, non-obligatoires par la suite. Malgré cela, au tournant des années 2000, les taux de certification au RQ demeurent faibles. Entre temps, le RQ et le PAMT avaient accueilli des métiers semi-spécialisés pour lesquels il n’existait pas de formation scolaire.

En 2005, la Commission des partenaires du marché du travail a changé les règles. Désormais, il n’était plus nécessaire de détenir un DEP pour obtenir un CEQ. Cette règle a créé un enjeu chez les comités sectoriels qui ont des métiers spécialisés qui requièrent un bon bagage de savoirs scientifiques, technologiques et mathématiques (STEM) pour les exercer.

Dès lors, un de ces comités – celui de la fabrication métallique – s’est interrogé sur les effets de la formation professionnelle sur la mobilité des ouvriers. Utilisant une méthode française qui permet de cartographier les emplois par métier et par niveau de compétences, il a constaté que les employés qui avaient un DEP avaient de meilleures chances de progresser que les autres (Hart, 2012b). Gibert Riverin qui travaille pour ce Comité sectoriel depuis 20 ans explique fort bien cette situation dans un texte consacré à la place du PAMT dans les initiatives du gouvernement visant l’adéquation entre la formation et l’emploi (Riverin, 2016).

Solutions

Le PAMT peut être renforcé de diverses manières. On peut développer des formations complémentaires, notamment en ligne pour transmettre les savoirs difficiles à acquérir dans un contexte de travail. Plusieurs comités sectoriels choisissent ce moyen.

Il est aussi possible de développer un programme d’apprentissage sur le modèle de la formation duale unissant le DEP et le PAMT. L’expérience est actuellement en cours dans la région des Laurentides et de l’Estrie pilotée par Perform, le comité sectoriel de la fabrication métallique et les commissions scolaires de ces régions. Au terme du programme, les apprenants acquièrent un DEP et le CQP, la certification du PAMT.

Références

Hart, S.A., B. Simoneau, F. et Chochard, Y. (2018). Enjeux de formation de main-d’œuvre dans le secteur manufacturier : le cas de l’imprimerie. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 9(2).

Hart, S.A. (2015a). Apprentissage et stage : une typologie pour les distinguer. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 6(3). 

Hart, S.A. (2015b). Le système d’apprentissage de l’Ontario. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 6(1).

Hart, S.A. (2012a). Le système d’apprentissage australien. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 3(1).

Hart, S.A. (2012b). Les impacts de la formation professionnelle et technique sur le développement professionnel des ouvriers. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 3(2).

Hart, S. (2010). L’évolution du PAMT et ses impacts sur les employés et les entreprises. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 1(1).

OIT (2014). Vue d’ensemble des systèmes et questions d’apprentissage : contribution de l’OIT au groupe de travail du G20 sur l’emploi. Genève: Organisation internationale du travail. Rapport préparé par Hilary Steedman.

Riverin, G. (2016). Le programme d’apprentissage en milieu de travail a-t-il une place dans les initiatives du gouvernement visant l’adéquation formation-emploi ? Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 7(1).

Tousignant, P. (2012). Les programmes d’apprentissage en Europe : des nouvelles fraîches. Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois, 3(4).

Extrait

La formation en apprentissage est une tendance internationale du fait que les États y voient un moyen de réduire le chômage des jeunes, le décrochage scolaire et la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée. Dans cette perspective, nous nous sommes intéressés à la formation en apprentissage institutionnalisée, celle qui donne lieu à des systèmes ou des programmes d’apprentissage. 

Abonnez-vous à l’infolettre

  • Date Format: MM slash DD slash YYYY
  • :
  • This field is for validation purposes and should be left unchanged.
Observatoire compétences-emplois (OCE)
1205, rue Saint-Denis
Pavillon Paul Gérin-Lajoie, local N-5920
Montréal (Québec), Canada
H2X 3R9
Voir sur la carte

Téléphone : 514 987-3000 poste 1085
Courriel : oce@uqam.ca