Novembre 2018 | Vol. 9 | N°2

Évaluation et anticipation des compétences : panorama de l’OCDE

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Face à un marché du travail en changement, les pays sont aux prises avec une même réalité : une main-d’œuvre éprouvant des difficultés à trouver de l’emploi alors que les employeurs déclarent avoir des difficultés de recrutement. Confrontés à ce déséquilibre entre l’offre et la demande de compétences, les pays sont animés d’une même volonté : assurer une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi. Pour ce, ils ont recours à des exercices d’évaluation et d’anticipation des besoins de compétences.

Tous les pays de l’OCDE et de l’Union européenne réalisent de tels exercices depuis les années 60 du 20esiècle (OIT, 2018). Dans un ouvrage récent, l’OCDE dresse un panorama de ces exercices à la lumière d’une analyse des pratiques de 29 pays, dont le Canada. Voici les éléments qui ont retenus notre attention.

La mesure des compétences

Les besoins de compétences sont difficilement mesurables. C’est la raison pour laquelle les pays utilisent des mesures indirectes, les variables dites d’approximation, dont les principales sont le domaine d’étude (biologie, comptabilité, éducation, etc.), le niveau de qualification (professionnel, technique, universitaire), le type de qualification (diplômes, certificats, etc.) et les professions (code CNP au Canada). Dans l’histogramme suivant, nous voyons que les plus courantes sont : le domaine d’études, le niveau de qualification et le type de qualification.

Mesures utilisées pour évaluer ou anticiper les besoins de compétences

Note: Les pourcentages sont basés sur les réponses de 28 pays : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Chili, Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irelande, Italie, Japon, Corée, Pays Bas, Norvège, Pologne, Portugal, République Slovaque, République tchèque, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie.
Source : OCDE, 2016, p. 38

Au Canada, les mesures sont faites sur la base de la Classification nationale des professions. Une nomenclature qui décrit les compétences pour 500 groupes de familles professionnelles par niveau et type de qualifications.

La collecte des données

L’OCDE identifie quatre approches ou méthodologies de collecte de données :

  • les projections fondées sur les enquêtes nationales,
  • les sondages auprès des employeurs,
  • les études sectorielles, régionales,
  • les groupes de discussion, tables rondes, méthodes de type Delphi et les scénarios.

Le document présente les avantages et les inconvénients de chacune dont voici le résumé :
Les approches et méthodologies, avantages et désavantages

Approches Avantages Désavantages
Projections fondées sur des enquêtes nationales utilisant des modèles macroéconomiques   Exhaustives couvrant tous les secteurs, consistantes, transparentes et explicites Exigent de nombreuses données, coûteuses, tout ne peut pas être quantifié, peuvent donner une fausse impression de précision
Enquêtes ou sondages auprès des employeurs Implication directe des acteurs Focalisation sur les pratiques et les besoins des acteurs Peuvent être très subjectives, inconsistantes, peuvent se focaliser trop rapidement sur des besoins marginaux et éphémères
Études sectorielles et ou régionales utilisant des méthodes quantitatives ou qualitatives Solidement ancrée sur les spécificités sectorielles ou régionales Incomplètes, risque d’incohérence entre les secteurs, les régions
Groupes de discussion, méthodes de consultation de type Delphi, développement de scénarios Implication directe des acteurs Holistiques en ce sens que l’on considère l’influence d’un ensemble de facteurs, pas juste ceux économiques Peuvent être peu systématiques, inconsistantes, très subjectives
Source : OCDE, 2016, p. 39

Les approches quantitatives ont été les premières développées et sont encore aujourd’hui les plus répandues mais elles sont aujourd’hui de plus en plus complétées par des approches qualitatives. Idem pour les projections nationales qui sont aujourd’hui de plus en plus complétées par des études régionales ou sectorielles pour raffiner les analyses.

L’interprétation des résultats

Les données collectées reste à interpréter les résultats. L’OCDE distingue deux types d’exercices à cet égard : les exercices d’évaluation qui s’intéressent aux déséquilibres et pénuries de main-d’œuvre à court terme et les exercices d’anticipation qui s’intéressent aux besoins futurs.

Les exercices d’évaluation des compétences se concentrent essentiellement sur le temps présent. Ils consistent à faire l’évaluation du niveau actuel de compétences de la main-d’œuvre et/ou de sa demande sur le marché du travail. Ces exercices portent plus particulièrement sur l’identification des déséquilibres et des pénuries de compétences.

Les exercices d’anticipation des compétences se concentrent sur le temps futur. Ils se divisent en deux catégories : les activités de prévision (forecast) et les activités de prospective (foresight).

  • Les activités de prévision visent à prédire les futurs déséquilibres entre l’offre et la demande de compétences sur le marché du travail à partir de modèles statistiques. Elles consistent à observer des tendances du passé et du présent pour les projeter dans l’avenir.
  • Les activités de prospective  consistent quant à elles à interpréter les tendances de l’offre et la demande de compétences sur le marché du travail en explorant les futurs possibles et en agissant sur eux. Elles s’appuient sur des inputs d’experts et d’acteurs du marché du travail et sont orientées vers l’action en ce sens où elles mettent en place un cadre qui sert à penser, à influencer et à agir sur le futur. Les activités de prospective nécessitent l’engagement et la collaboration des décideurs publics et des acteurs du marché du travail.

Les exercices de prospective sont encore peu répandus comme le montre la figure suivante. Toutefois, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux y auront de plus en plus recours puisque les pays cherchent à prévenir les déséquilibres.

Les exercices d’évaluation, de prévision et de prospective

Note: Les pourcentages sont basés sur les réponses de 28 pays : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Chili, Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irelande, Italie, Japon, Corée, Pays Bas, Norvège, Pologne, Portugal, République Slovaque, République tchèque, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie.
Source : OCDE, 2016, p. 40

L’usage des résultats

Les résultats des exercices d’évaluation et d’anticipation des besoins de compétences sont principalement utilisés par les pouvoirs publics (ministères de l’emploi, de l’éducation, etc.) et les partenaires sociaux. Pour l’essentiel, ils servent à l’élaboration des politiques d’emploi et des politiques éducatives. Toutefois, l’exploitation des résultats demeure difficile, ce que reconnaissent les pouvoirs publics et partenaires sociaux. Le tableau suivant montre que les difficultés identifiées sont les mêmes, mais que l’importance accordée à chacune varie selon l’une et l’autre des deux parties.

Dix raisons limitant la traduction des informations d’évaluation et d’anticipation des compétences en politiques efficaces

Source : OCDE, 2016, p. 68

Les pouvoirs publics mettent l’accent sur les insuffisances méthodologiques des enquêtes nationales. Il est difficile de désagréger les résultats pour que ceux-ci demeurent pertinents au niveau local et les catégories d’occupations sont trop larges pour définir une offre de formation qui réponde bien aux besoins régionaux.

Results are not sufficiently disaggregated: national-level results may not be useful to make decisions at a local level, or broad occupational categories may not provide the evidence to make decisions about specific training provision. Similarly, the way skills are measured and defined in the exercises do not easily map to useful variables in the policy-making sphere. For example, for education and training providers information about trends for specific occupations may not translate directly into the specific skills and courses/fields-of-study to be promoted. In addition, labour supply/demand dynamics are often not sufficiently considered to give an adequate picture of present and future skill needs (p. 66).

Quant aux partenaires sociaux, ils mettent l’accent sur le manque de consultation et de discussion sur les besoins de compétences.

Les défis pour aller de l’avant

Deux défis importants sont à relever pour améliorer les exercices d’évaluation et d’anticipation de compétences.

Le premier défi porte sur l’utilisation des résultats des exercices dans la conception des politiques. Pour les décideurs, il est important de penser globalement les politiques en matière de compétences. Ce qui implique un partenariat entre une variété de ministères et de parties prenantes. Les politiques de compétences doivent être en lien avec celles de l’emploi, de l’éducation, de l’immigration, du développement économique (développement régional y compris), des affaires sociales, de l’industrie et de la fiscalité (pour stimuler les entreprises).

Le deuxième défi est relatif à l’engagement des parties prenantes. Les exercices doivent prévoir des mécanismes qui assurent la consultation, la collaboration et la concertation des acteurs concernés par les besoins de compétences. Pour ce, l’OCDE identifie ces conditions :

  • les parties prenantes doivent voir des avantages à la collaboration;
  • elles doivent pouvoir juger que leur apport est nécessaire;
  • l’engagement politique de haut niveau doit soutenir les opérations;
  • une stratégie nationale de compétences et une législation réglementant les formes et les modes de collaboration peuvent aussi s’avérer utiles pour baliser les exercices.

En savoir plus

Extrait

Dans un ouvrage récent, l’OCDE dresse un panorama des exercices d’évaluation et d’anticipation des compétences à la lumière d’une analyse des pratiques de 29 pays, dont le Canada.

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