Novembre 2016 | Vol. 7 | N°2

Stages en entreprise en formation duale et alternée : quatre paramètres à considérer

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Un peu partout dans le monde, on souhaite améliorer l’adéquation entre la formation de la main d’œuvre et les besoins du marché du travail. Un moyen d’y arriver est d’inclure des stages en entreprise dans les programmes de formation. Les apports sont nombreux. L’entreprise forme la relève de sa main d’œuvre, bénéficie d’un retour sur ses investissements en le faisant, et stimule l’échange de nouvelles connaissances au sein de son personnel. L’établissement scolaire gagne en attractivité de ses cursus ; la personne formée renforce son employabilité.

Le colloque international sur l’adéquation formation-emploi (2015) organisé par l’OCE, en collaboration avec la Commission des partenaires du marché du travail et Manufacturiers et Exportateurs, a mis en lumière la variété des formes de stages au Québec ainsi que l’intérêt porté pour les pratiques européennes de formation duale. Toutes ces pratiques ont un point commun : elles s’appuient sur l’alternance, une formule éducative qui implique une coordination entre l’établissement scolaire et l’entreprise. Mais quelles sont les différences entre les pratiques québécoises et européennes ? Quelles sont leurs forces et particularités ? Et surtout, quels enseignements peut-on en retirer pour le développement de nouveaux programmes d’alternance ?

Pour répondre à ces questions, nous comparons cinq pratiques québécoises d’alternance et deux pratiques européennes de formation duale. L’exercice permet de dégager quatre paramètres à considérer dans l’analyse et le suivi de pratiques actuelles et futures : le cadre de référence, la coordination, la séquence de stage et le statut de la personne formée (voir le tableau). Il met aussi en lumière le besoin de documentation et de monitoring des pratiques québécoises. Précisons que les pratiques présentées dans ce texte ne sont pas exhaustives : des manières innovantes d’organiser l’alternance émergent régulièrement, tant au Québec qu’au niveau international.

Les pratiques québécoises

L’alternance travail-études (ATE) est la formule la plus répandue au Québec. Développé par le ministère de l’Éducation à la fin des années 90, plus de la moitié des programmes de formation professionnelle et technique offerts depuis quinze ans a été adaptée pour la mesure (Hart, 2016a). Le cadre de référence de l’ATE fixe une durée minimale aux stages. On parle d’ATE lorsque les séquences de stage représentent au moins 20% de la durée totale du programme. Dans l’ATE de la formation professionnelle, ces séquences se substituent à la formation en établissement. Dans l’ATE de la formation technique, elles s’y ajoutent (Typologie des séjours en milieu de travail).

La mesure de formation de la main-d’œuvre (MFOR) d’Emploi-Québec fait aussi la promotion de l’alternance (Emploi-Québec, 2016). Une particularité de la mesure est de donner la possibilité à des organismes autres que les établissements scolaires d’offrir un programme de formation en alternance. À titre d’exemple, Intégration jeunesse du Québec (IJQ), un organisme communautaire, offre le programme de testeur de jeux vidéo en alternance.

L’alternance est aussi un élément clé de la formation menant à l’exercice d’un métier semi-spécialisé, un programme qui a été élaboré sur l’idée qu’aucune personne ne devrait quitter le système scolaire sans avoir au moins une qualification professionnelle lui permettant d’intégrer le marché du travail. D’une durée d’un an, il permet de développer des compétences spécifiques d’un métier dans des situations réelles de travail (MEES, 2013).

La réalisation de stages au niveau universitaire se déroule souvent dans le cadre de l’enseignement coopératif. Cette formule intègre l’apprentissage des activités pédagogiques et l’expérience en milieu de travail dans un processus d’alternance entre les sessions d’études et les stages en milieu de travail. Une particularité de l’enseignement coopératif est l’existence de normes d’agrément à l’attention des établissements collégiaux et universitaires (ACDEC, 2012). Ces normes assurent notamment la qualité des programmes, la qualité des stages et la préparation adéquate des étudiants aux stages.

La coexistence travail-études (CTÉ) est une formule d’alternance unique au Cégep de Sherbrooke. La formule permet de réaliser la dernière année d’un programme de formation technique sur deux ans. Durant ces deux ans, l’étudiant va combiner, dans une même semaine, un travail rémunéré dans l’entreprise et de la formation en classe. 1)

Les pratiques européennes

En Suisse et en Allemagne, l’alternance est intégrée aux programmes de formations professionnelles initiales et constitue une filière à part entière du système éducatif (Delautre, 2014). Les programmes sont organisés en mode dual, ce qui signifie que les deux lieux de formation, l’école et l’entreprise, sont d’égale importance et que les responsabilités financières et légales sont partagées (Schwendimann et al. 2015).

Les deux cadres de référence sont nationaux et ont la particularité d’ancrer l’alternance dans la loi. En Suisse, le principe de collaboration entre la Confédération (État fédéral), les cantons (les régions) et les organisations du monde du travail est inscrit dans la Loi fédérale sur la formation professionnelle (LFPr) et se décline dans plusieurs lois cantonales. Chaque métier / profession fait ensuite l’objet d’une ordonnance qui précise les responsabilités assumées par les lieux de formation. 2)

L’organisation de la formation professionnelle initiale allemande à été définie en 1969 par une loi qui régit l’ensemble des formations en alternance pour les métiers de l’artisanat, de l’industrie, du commerce, de l’administration, de l’agriculture et de l’économie domestique (BBiG). La loi répondait à une préoccupation majeure de l’époque d’améliorer la qualité de la formation professionnelle (Delautre, 2014).

Paramètres à considérer lors du développement de nouveaux programmes

Nous voyons que plusieurs solutions ont déjà été explorées pour organiser des stages en milieu de travail. De cette variété se dégage quatre paramètres d’analyse et de suivi de programmes d’alternance existants et futurs (tableau 1) : (A) le cadre de référence, (B) la coordination, (C) les séquences de stage et (D) le statut de la personne formée. Ces paramètres permettent de bien cerner les similitudes et les différences entre les pratiques.

Le cadre de référence

Ce paramètre correspond aux bases légales ou réglementaires qui définissent les modalités institutionnelles, organisationnelles et financières des stages. Les cadres de référence européens sont de nature plus contraignante que les cadres québécois car ils s’appuient essentiellement sur des lois et des ordonnances. Ils délimitent les responsabilités légales et financières de chacun. Ils décrivent aussi les compétences à développer durant le stage ce qui implique que, en théorie, un programme de formation offert en mode dual comportera toujours les mêmes séquences de stages, indépendamment de la région ou de l’entreprise dans laquelle se déroule la formation. Cela garantit des conditions de mise en pratique uniformes du stage dans toutes les entreprises mais laisse peu de place à des adaptations locales.

Les cadres québécois sont plus ouverts. Ils correspondent plutôt à des boites à outils à l’attention des établissements qui souhaitent faire de l’alternance. Ces derniers peuvent choisir les programmes touchés par l’alternance ainsi que les compétences à développer durant les stages. Le cadre n’est là que pour les guider dans ces opérations. L’adaptation locale en est facilitée.

La coordination

Le deuxième paramètre porte sur la coordination ou le partage des responsabilités entre les acteurs. Au Québec, la décision d’offrir ou non un programme de formation en alternance se prend au niveau local, par l’établissement en charge du programme. L’application nécessite souvent un réaménagement du programme, tâche assurée par les enseignants, conseillers pédagogiques, responsables de liaison ou formateurs de l’établissement. Par exemple, dans l’ATE du secondaire, les enseignants élaborent le projet de formation en alternance, assurent la coordination avec le milieu de travail, soutiennent l’étudiant dans la préparation, la recherche et la réalisation de son stage et veillent au réinvestissement de ses apprentissages lors du retour en classe.

Les modèles suisse et allemand se distinguent par la présence d’instances de coordination aux niveaux national et régional (p. ex., un service de formation professionnelle). Ces structures assument des tâches complémentaires à celles des ministères et soutiennent les établissements scolaires et entreprises dans leurs pratiques de gestion. Elles mettent à jour le contenu du cadre de référence, mettent en place des campagnes de promotion des programmes de formation duale, assurent le financement des programmes, gèrent le processus d’engagement auprès des entreprises, forment les superviseurs de stage.

La séquence de stage

L’organisation d’une séquence de stage est un autre paramètre à considérer. Il s’agit notamment de déterminer la durée, le nombre et le contenu des séquences. Dans les pratiques d’ATE de la formation technique, de MFOR et de COOP, l’étudiant ne réalise que quelques séquences en entreprise, mais elles sont longues, chacune se déroulant sur plusieurs semaines voire plusieurs mois. Dans les pratiques d’ATE de la formation professionnelle, les séquences en entreprise sont plus nombreuses et plus courtes, de l’ordre de deux à trois semaines sous un rythme intrahebdomadaire ou hebdomadaire. Dans les pratiques suisse et allemande, la personne est présente à temps partiel dans l’entreprise, mais pour toute la durée de sa formation. Le modèle CTÉ suit la même logique, mais uniquement pour les deux dernières années de formation.

Dans la majorité des modèles, les activités de formation assumées par les établissements demeurent les mêmes : le développement, la mise en œuvre et la sanction des compétences. Dans les entreprises, au contraire, les activités varient d’un modèle à l’autre. Soit l’entreprise réalise l’une ou l’autre des activités de formation (formules ATE, CTÉ et COOP), soit elle prend en charge l’ensemble des trois activités (MFOR, Suisse, Allemagne). Dans tous les cas, cependant, le soutien de l’entreprise est essentiel. Il doit être d’ordre organisationnel (p. ex., aide dans l’élaboration des activités de formation en entreprise, formation du superviseur de stage, etc.) et parfois même d’ordre financier (sous certaines conditions, crédits d’impôt pour stage en milieu de travail). En Europe, ce soutien est organisé aux niveaux national et régional, par des instances dont il s’agit de la mission première. Au Québec, le soutien est assuré essentiellement au niveau local, par l’établissement.

Le statut de la personne formée

Enfin, dernier paramètre, le statut la personne formée, qui déterminera ses droits (p. ex., le droit d’être assuré, le droit à la rémunération) et ses obligations (obtention de bons résultats scolaires, rendement attendu dans l’entreprise). Au Québec, ce statut dépend des activités réalisées dans l’entreprise. Lorsque le stage comporte essentiellement des activités de développement des compétences, elles font partie intégrante du programme de formation. La personne est alors considérée avant tout comme un étudiant stagiaire au regard de la loi sur les normes du travail (art. 3, al. 5). L’entreprise n’a pas l’obligation de le rémunérer.

Au contraire, lorsque la séquence en entreprise comporte plutôt des activités de mise en œuvre des compétences, elles s’ajoutent à la totalité du programme de formation. L’entreprise est alors assujettie à la loi. La personne formée acquiert le statut de salarié et doit être rémunérée au taux minimum en vigueur. Dans les programmes québécois comportant essentiellement de la mise en œuvre de compétences (i.e. ATE au collégial, CTÉ et COOP), la personne formée y acquiert simultanément le statut d’étudiant dans l’établissement et de salarié dans l’entreprise.

En Europe, le statut « d’apprenti » est hybride.  D’une part, il combine les droits et obligations d’un salarié et d’un étudiant et lie étroitement tous les acteurs de la formation. Ainsi, si la personne échoue la partie scolaire de sa formation, elle perd la possibilité de se former en entreprise et inversement. De plus, elle ne peut s’inscrire en formation auprès d’un établissement qu’après avoir signé un contrat d’apprentissage avec une entreprise. D’autre part, ce statut reprend l’idée de ne rémunérer que les activités de mise en œuvre des compétences. La rémunération d’un apprenti est donc bien inférieure à celle d’un salarié.

L’émergence de nouveaux modèles

Notre revue ne peut être exhaustive car de nouvelles pratiques émergent régulièrement, en dehors des cadres de référence que nous avons présentés. Par exemple, les DEP adaptés pour l’alternance par Yves Boivin, un enseignant du Centre sectoriel des plastiques de Saint-Damien de Buckland, ont la particularité d’être offerts intégralement en entreprise pour le volet pratique et en ligne pour le volet théorique (Hart, 2015).

Un autre exemple, le DEP-CQP, propose un arrimage entre un programme de formation professionnelle et un programme d’apprentissage en milieu de travail, ce qui permet une double valorisation des périodes de stage en entreprise. Il a été développé conjointement par la Commission scolaire de la Capitale et le Comité sectoriel de la fabrication métallique (Hart, 2016b). Ces exemples mettent en évidence la créativité dont font preuve les organismes de formation québécois pour développer des pratiques nouvelles qui répondent aux besoins des entreprises locales et aux attentes des nouvelles générations de travailleurs.

Des pratiques à documenter et à monitorer

Une autre différence entre le Québec et l’Europe, et nous conclurons là-dessus, est le degré de documentation des pratiques. En Allemagne et en Suisse, des enquêtes sont régulièrement menées sur les pratiques de formation duale. Les informations sont collectées et diffusées sur le nombre de places de stage offertes par les entreprises, sur le nombre de personnes souhaitant réaliser un stage (LINK Institut, 2016), sur la popularité des programmes, sur la qualité des conditions de formation durant le stage, sur les raisons des abandons (OBS IFFP 2016), sur les apports économiques des stages (Muehlemann et Wolter, 2014) et de nombreux autres aspects. Ces informations aident les décideurs à corriger les problèmes, à réduire la complexité du système, à contrôler les coûts, mais aussi, à soutenir et valoriser les bonnes pratiques. Au Québec, ce type d’information manque. Si l’on souhaite augmenter le nombre et la durée des stages dans le cadre de formations en alternance, nous aurons besoin d’informations tant sur les pratiques existantes que sur les pratiques émergentes.

Notes

  1. Consultez la page de la Coexistence travail-études sur le site du Cégep et visionnez la vidéo présentant ce programme.
  2. Par exemple, l’ordonnance d’employé de commerce .

Références

ACDEC (2012). Demande d’agrément, Conseil d’agrément de l’Association canadienne de l’enseignement coopératif. Toronto : ACDEC.

Delautre, G. (2014). Le modèle dual allemand. Caractéristiques et évolution de l’apprentissage en Allemagne. Document d’études numéro 185. Paris : DARES

Emploi-Québec (2016). 5.8 Mesure de formation de la main-d’œuvre. Section 1 : Modalités du volet individus. Guide des mesures et des services d’emploi, Emploi-Québec, Direction des mesures et des services aux individus

Hart, S.-A. (2016a). Concevoir la nouvelle formation en alternance aux stages prolongés sur la base de l’expérience de l’actuelle ATE de la formation professionnelle et techniqueBulletin de l’Observatoire Compétences-Emploi, vol. 7, no 1.

Hart, S.-A. (2016b). Des innovations québécoises au potentiel prometteurBulletin de l’Observatoire Compétences-Emploi, vol. 6, no 4.

Hart, S.-A. (2015). L’alternance travail études en ligne et en entreprise, un pas vers la formation duale et une innovation prometteuse pour l’industrie manufacturièreBulletin de l’Observatoire Compétences-Emploi, vol. 5, no 4.

LINK Institut (2016). Baromètre des places d’apprentissage, avril 2016. Bern : SEFRI.

OBS IFFP (2016). Rester ? S’en aller ? Recommencer ? Fréquence, causes et répercussions des résiliations de contrats d’apprentissage, Rapport de tendance 1.

MEES (2013). Préparation à l’exercice d’un métier semi-spécialisé. Formation menant à l’exercice d’un métier semi-spécialisé.

Muehlemann, S. et Wolter, S. C. (2014). Return on investment of apprenticeship systems for enterprises : Evidence form cost-benefit analyses. IZA Journal of Labor Policy, vol. 3, no 25, DOI: 10.1186/2193-9004-3-25

Schwendimann, B. A., Cattaneo, A. A. P, Dehler Zufferey, J., Gurtner, J.-L., Bétrancourt, M. et Dillenbourg, P. (2015). The ‘Erfahrraum’: a pedagogical model for designing educational technologies in dual vocational systems, Journal of Vocational Education & Training, 67:3, 367-396. DOI: 10.1080/13636820.2015.1061041

En savoir plus

Des vidéos conférences présentant les pratiques québécoises suisses et allemandes de formation duale ou alternée sont disponibles. Les liens figurent dans la colonne de droite.

Extrait

Cinq pratiques québécoises d’alternance et deux pratiques européennes de formation duale, sont ici comparées. L’exercice permet de dégager quatre paramètres pour l’analyse et le suivi de pratiques actuelles et futures. Il met aussi en lumière le besoin de documentation et de monitoring des pratiques québécoises. Si l’on souhaite augmenter le nombre et la durée des stages dans la formation en alternance, un tableau de bord peut être utile pour en faire l’analyse et le suivi.

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