Mars 2016| Vol. 6 | N°4

La formation duale de l’Allemagne et de la Suisse : caractéristiques qui étonnent et détonnent du point de vue nord-américain

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La formation duale suscite l’intérêt du monde entier et ce, depuis le siècle dernier.1) Si aujourd’hui on s’y intéresse de nouveau, c’est pour sa capacité à qualifier les jeunes. Le taux de chômage de la population active des 15 – 24 ans de l’Allemagne et de la Suisse, pays phares de ce modèle avec l’Autriche, est effectivement le plus bas des pays de l’OCDE (avec le Japon). Plus bas que le Canada. C’est aussi pour sa capacité à qualifier la main-d’œuvre intermédiaire, tout particulièrement, les ouvriers et les techniciens de l’industrie manufacturière. Le modèle dual inspire aussi bien les pays émergents (Brésil et Mexique), qui sont dépourvus de cette main-d’œuvre, que les pays où elle est en pénurie (États-Unis).

Dans cet article, nous revenons sur les conférences d’Isabelle Le Mouillour, d’Yves Chochard et de Serge Chobaz sur la formation duale de l’Allemagne et de la Suisse présentées lors des colloques d’avril 2015, sur la formation duale et alternée, et de novembre 2015, sur les innovations et bonnes pratiques de partenariat entre l’école et l’entreprise. L’objectif n’est pas d’en faire un résumé, ni une synthèse, mais plutôt de dégager des caractéristiques qui étonnent et détonnent du point de vue nord-américain.

Un système d’apprentissage

La formation duale de l’Allemagne et de la Suisse donne lieu à un système, qui plus est, d’apprentissage. De par sa nature, il s’apparente davantage aux programmes d’apprentissage canadiens qu’aux programmes d’alternance travail-études de l’école québécoise. La majeure partie de la formation duale se déroule en entreprise (60% à 70%) complémentée par une formation en école sur les savoirs généraux, théoriques et techniques indispensables à l’exercice d’un métier. Outre, l’importance donnée dans le mode de formation duale à la formation en entreprise, la particularité de ce système, c’est l’articulation étroite des deux lieux de formation.2) Que la formation professionnelle soit donnée dans l’école (mode « scolaire ») ou dans l’entreprise (mode « dual »), il n’y a pour la formation à un même métier qu’un seul curriculum et qu’un seul plan de formation. Et dans le cas de la formation sous le modèle « dual », les deux lieux (école et entreprise) fonctionnent en tandem pour l’organisation des horaires des apprentis, alternant les séquences de formation sur une base hebdomadaire. 3)

Si les systèmes de formation professionnelle allemand ou suisse ont gardé comme alternative une voie de formation professionnelle dans les établissements scolaires, intégré au système éducatif, le système d’apprentissage dual est de loin la voie la plus empruntée au deuxième cycle du secondaire (voir le tableau 1 au bas de l’article). Dans les deux pays, le nombre de programmes offerts par ce système est considérable : 328 en Allemagne et 250 en Suisse. Et il y a des programmes dans tous les secteurs d’activités économiques. Voyez ce cours vidéo de Francetv info sur l’apprentissage en Suisse. En même pas cinq minutes, on saisit l’ampleur du phénomène.

Un système fluide

Les deux pays ne connaissent pas la distinction que nous faisons entre formation professionnelle et technique. La formation duale prépare aux métiers semi-spécialisés, spécialisés et techniques dans une progression fluide où l’on acquiert les prérequis pour le niveau supérieur, rendant visibles les chemins de mobilité professionnelle dans un secteur d’activités. Pour le dire dans les mots d’une réalité que nous connaissons, le DEP-DEC est un passage courant. Le système suisse est encore plus fluide favorisant des DEP-BAC au moyen d’une année de formation dite « maturité professionnelle » (voir tableau 2 au bas de l’article).

Il y a actuellement en Suisse une campagne de promotion sur la formation professionnelle qui atteste de la volonté forte des pouvoirs publics et des partenaires sociaux de favoriser les parcours de mobilité au sein du système éducatif. Intitulée « les pros vont de l’avant », elle promeut des parcours de type DEP-DEC : « Apprends maçons, deviens entrepreneur en construction », « Apprends horloger, deviens designer », « Apprends bijoutière, deviens policière » ; de type DEC-BAC : « Apprends électronicienne, deviens ingénieur en génie électrique », « Apprends laborantin, deviens astronome » ; et d’autres représentent des bonds plus ambitieux de type DEP-BAC : « Apprends coiffeur, deviens biologistes ». Il vaut la peine de jeter un œil sur cette campagne de promotion intelligente et drôle sur le site suisse.

Une ingénierie de formation efficace

L’Allemagne et la Suisse sont fortement préoccupés par l’évolution des compétences sur le marché du travail. Les conférenciers Isabelle Le Mouillour et Serge Chobaz ont tous deux insisté sur l’importance de voir venir les tendances et de se donner des moyens appropriés pour le faire.

En Suisse, la Loi sur la formation professionnelle oblige les partenaires sociaux à réviser les programmes aux cinq ans (oui, ce sont eux qui les font !) et le processus d’ingénierie de formation donne une large part à la prévision des tendances. Entre-temps, il permet des ajustements mineurs. En fait, entre l’analyse des besoins, le développement d’un programme, sa mise en œuvre et l’évaluation de son implantation, la roue ne cesse de tourner. Quant à la conception de nouveaux programmes nationaux, elle requiert de deux à trois ans. La présentation de Serge Chobaz est particulièrement éclairante sur un processus d’ingénierie moderne, souple et réactif. Une belle source d’inspiration pour le nôtre critiqué pour sa lenteur.

Un système piloté par l’État, les régions et les partenaires sociaux

La gouvernance de la formation professionnelle est tripartite. Dans les deux pays, il y a une loi de la formation professionnelle qui précise que cette formation est la tâche commune de l’État, des régions et des partenaires sociaux (patronat et syndicat) et qui donne des lignes directrices et des critères de qualités pour la développer. Cette formation professionnelle se fait dans des écoles professionnelles selon le modèle dit « scolaire » ou selon la forme duale dans laquelle la formation professionnelle se fait dans les entreprises et par les entreprises, l’école jouant dans ce cas un rôle de formation (formation générale, formation théorique) complémentaire. Que cette formation ait été donnée dans les écoles professionnelles ou dans l’entreprise, les élèves ou apprentis suivent le même curriculum d’études et subissent les mêmes examens de certification.

Au niveau national, le système est géré par des instances gouvernementales : le BIBB (Institut fédéral pour la formation professionnelle) en Allemagne, le SEFRI (Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation) et  l’IFFP (Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle) en Suisse. Le BIBB allemand est composé de 8 délégués patronaux, 8 délégués syndicaux, 5 délégués de l’État fédéral et 8 délégués des régions. C’est le « parlement de la formation duale », dira Isabelle Le Mouillour, le lieu où « tous les acteurs se rencontrent, se disputent et se mettent d’accord » sur les orientations à prendre et les opérations à mener en matière de formation professionnelle.

Sur le plan opérationnel, les activités du BIBB et de l’IFFP sont semblables. Épine dorsale du système, les deux organisations soutiennent les partenaires sociaux dans le développement et l’actualisation des référentiels de formation au niveau national ; font des analyses statistiques régulières de la FP ; soutiennent et analysent des expérimentations et de la recherche ; administrent des campagnes de promotion de la FP ; conseillent et informent les acteurs de la FP. Cette gouvernance tripartite se décline aussi dans les régions, pour la mise en œuvre.

Un système somme toute peu coûteux pour les entreprises

En Allemagne, les entreprises investissent une moyenne de 15 000 euros par année (salaire de l’apprenti, du formateur, frais d’immobilisation et de fonctionnement) par apprentis et les trois quarts de cette somme sont amortis à la 3e année d’apprentissage où l’apprenti devient productif pour elles. Les coûts sont semblables en Suisse. C’est donc la durée suffisamment longue de l’apprentissage qui permet un retour sur leurs investissements en formation. C’est là un facteur de succès de la participation des entreprises. (Voir présentation d’Isabelle Le Mouillour).

Les coûts de la formation duale sont partagés à part égale entre les pouvoirs publics et les entreprises

La formation duale, c’est aussi une formation financée par les pouvoirs publics et par les entreprises à hauteur d’un même montant. En Allemagne, les deux parties investissent le même montant : 5,9 milliards d’euros pour les premiers et 5,6 milliards d’euros nettes pour les secondes (les dépenses brutes pour les entreprises s’élèvent à 23,8 milliards). C’est le même phénomène pour la Suisse. (Voir présentation d’Isabelle Le Mouillour).

Les petites entreprises participent à la formation duale

Voilà une réalité très éloignée de l’idée qu’on s’en fait. En Allemagne, et c’est aussi vrai en Suisse, un grand nombre de petites et moyennes entreprises participent au système dual : 51,9% ont moins de 10 employés (voir le tableau 3 au bas de l’article).

La réalité québécoise est inverse sur presque tous ces paramètres

Notre enseignement professionnel et technique est organisé selon le modèle dit « scolaire ». Alors que dans le modèle dual allemand ou suisse – c’est là sa caractéristique essentielle – la formation professionnelle ou technique proprement dite se fait dans l’entreprise et par un personnel spécialisé de l’entreprise, chez nous la formation professionnelle ou technique, se fait dans les institutions scolaires et par le personnel spécialisé de ces institutions. Les stages, lorsqu’il y en a, représentent une faible portion du temps du programme : autour de 20% dans le cas des programmes d’alternance travail-études et beaucoup moins dans le cas des stages traditionnels, sauf dans les programmes de la santé et des services sociaux où ils peuvent atteindre 40%, voire 60%. Quant à la fluidité, malgré l’harmonisation des programmes et la volonté d’établir des passerelles qui nous anime depuis plus de vingt ans, elle reste embryonnaire. Plus courante dans certains domaines, elle se déploie aux niveaux de l’enseignement tertiaire, entre le DEC et le BAC.

Notre FPT est en outre pilotée par le système d’éducation (ministère de l’Éducation, commissions scolaires et collèges). Les partenaires sociaux y jouent un rôle, important certes, mais consultatif dans l’élaboration des programmes. Et le ministère de l’emploi, s’il peut influencer l’offre de formation, ce pouvoir s’exerce indirectement par les achats régionaux de formation.

Les tableaux

Tableau 1 – Personnes ayant commencé une formation de deuxième cycle du secondaire en Suisse

En Suisse, 72,5% des personnes qui entrent dans une formation du deuxième cycle du secondaire choisissent une formation professionnelle initiale (pour nous une FPT), contre 27,5%, une formation de culture générale. Sur ce nombre, la grande majorité (65,1%) s’engage dans une formation en entreprise (i.e. dans le système dual). Une minorité, 7,4% privilégie une formation professionnelle en école. Ces chiffres sont ceux de 2012.

Schéma fréquentation système suisse

Source : SEFRI, La formation professionnelle en Suisse, faits et chiffres 2015, p. 12.

Tableau 2 – Le système de formation professionnelle en Suisse

La formation duale initiale s’échelonne sur 2, 3 ou 4 ans (nous dirions ici du secondaire IV à une première année du collégial). Moins courantes, les formations de 2 ans mènent à des métiers semi-spécialisés (aide-menuisier, assistant de bureau, employé en restauration, horticulteur, etc.) et elles donnent lieu à une attestation fédérale de formation professionnelle. Plus courantes, les formations de 3 ans et 4 ans à des métiers spécialisés et techniques qui correspondent ici à des DEP ou des AEC (technologue en textile, technologue en denrées alimentaires, mécaniciens de production, dessinateur-constructeur industriel, constructeur métallique, électronicien, etc.). Ces formations sont sanctionnées par le certificat fédéral de capacité. Il est ensuite possible de poursuivre ses études en formation professionnelle supérieure en accès direct pour obtenir un brevet ou un diplôme fédéral ou encore un diplôme des écoles supérieures (équivalent de notre collégial). L’accès indirect est aussi possible de la formation professionnelle initiale aux hautes écoles spécialisées, en passant par une année dite de « maturité professionnelle » pour s’engager dans des formations qui mènent aux baccalauréats et à la maîtrise.

Schéma du système suisse

Source : SEFRI, La formation professionnelle en Suisse, faits et chiffres 2015, p.6.

Tableau 3 – Les entreprises participant au système dual en Allemagne selon la taille

Tableau participation entreprises allemagne

Source : Présentation d’Isabelle Le Mouillour.

Notes

  1. C’est dans les années 60, sous l’impulsion de Paul Gérin-Lajoie, qu’une première délégation québécoise s’est rendue en Allemagne dans le cadre des travaux qui ont précédé la réforme de l’éducation. Elle allait être suivie de plusieurs autres.
  2. Il y en a trois pour la Suisse : école, entreprise et cours interentreprises.
  3. Les programmes d’apprentissage canadiens ont aussi une composante scolaire (autour de 10% à 20% du contenu). Elle est toutefois faiblement liée à la formation en entreprise. Se donnant par bloc de semaines et le candidat ayant le choix du moment où il l’entreprend, beaucoup ne la complètent pas. Cette situation est en partie responsable du faible taux de certification des programmes d’apprentissage canadiens, dont celui de l’Ontario. Nous avons abordé cette question dans un article intitulé « Le système d’apprentissage de l’Ontario ».

En savoir plus

Extrait

La formation duale de l’Allemagne et de la Suisse est un système d’apprentissage fortement intégré au système éducatif. Fluide, il permet des passages entre la formation professionnelle et technique. Système piloté par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux, les entreprises disposent d’un soutien stratégique et logistique important pour former. Et l’ingénierie de formation est à l’avenant. Nationale, souple et moderne, elle anticipe les tendances et permet les ajustements dans un temps relativement court. Enfin, le système n’est pas si coûteux pour les entreprises parce que la durée des programmes est suffisamment longue pour qu’elles obtiennent un retour sur leur investissement lorsqu’elles prennent un apprenti.

Observatoire compétences-emplois (OCE)
1205, rue Saint-Denis
Pavillon Paul Gérin-Lajoie, local N-5920
Montréal (Québec), Canada
H2X 3R9
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Téléphone : 514 987-3000 poste 1085
Courriel : oce@uqam.ca