Juin 2016 | Vol. 7 | N°1

Concevoir la nouvelle formation en alternance aux stages prolongés

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Le gouvernement souhaite augmenter la durée des stages de la formation professionnelle et technique. Dorénavant, les nouveaux programmes devront comporter 50% à 60% du temps de formation en milieu de travail 1). La formule éducative qui s’approche le plus du projet gouvernemental est celle de l’alternance travail-études (ATE). Cette formation alternée comporte des stages qui représentent au moins 20% de la durée des programmes et ce sont les plus longs que connaissent les écoles et les entreprises québécoises avec les stages d’insertion destinés aux élèves en difficulté et les stages cliniques du secteur de la santé.

La parenté des formules rend pertinente la réflexion sur l’expérience de l’actuelle ATE. S’il faut construire l’avion en volant, pour reprendre une expression du milieu, il peut être utile de se guider en réinvestissant la connaissance des points forts et des points faibles de l’actuelle ATE. Dans cet article, nous donnons un aperçu d’un tel exercice. Nous croyons cependant qu’il devrait être entrepris de façon systématique.

Lorsqu’il est question de l’ATE, il est commun d’entendre dire que la principale difficulté c’est l’entreprise. Certes, il y a des difficultés du côté de l’entreprise et beaucoup, mais il y en a aussi du côté de l’école et du gouvernement, dont certaines suffisamment importantes pour limiter le développement de nouvelles initiatives. Ce sont celles-là qui nous ont intéressées dans un premier temps.

Les origines

Les origines de la formation alternée au Québec sont bien documentées. Les chercheures Carol Landry et Élisabeth Mazalon (1998) distinguent deux périodes. Les années 60 où la formation alternée se développe à l’université et dans les collèges « de façon volontaire par des initiatives locales sous l’influence principale des modèles américains » et les années 80, où elle s’étend dans les collèges et les écoles secondaires à la faveur d’un financement provenant des gouvernements fédéral et provincial.

C’est à l’Université de Sherbrooke, en 1966, que la première formation alternée voit le jour. Inspirée de pratiques élaborées depuis 1906 à l’Université de Cincinnati, la formule était et est encore connue sous l’appellation « enseignement coopératif ». L’expérience en inspire d’autres, dont l’École de technologie supérieure et quelques collèges.

En 1986, Emploi et Immigration Canada instaure l’option « alternance travail-études » dans le cadre de son programme d’intégration professionnelle. Denis Lebel (2002) précise que les règles qui concernent l’ATE dans les établissements d’enseignement postsecondaire sont inspirées du modèle de l’enseignement coopératif : les stages doivent être d’une durée moyenne de seize semaines et être rémunérés. Pour les élèves de la formation professionnelle du secondaire, les règles sont moins strictes : Emploi et Immigration Canada accepte que les stages soient plus courts et les stagiaires, non rémunérés.

En 1987, le gouvernement du Québec instaure l’alternance travail-études pour les cheminements particuliers de formation visant l’insertion sociale et professionnelle de jeunes de 16 à 18 ans en difficulté d’apprentissage (ISPJ). Les subventions du gouvernement fédéral soutiennent l’alternance en ISPJ jusqu’en 1992. Le gouvernement du Québec privilégie par la suite le financement des projets d’ATE en formation professionnelle (DEP, ASP). (Landry, Mazalon, 1998)

En 1994, Emploi et Immigration Canada met fin à son programme. En 1995, la Direction générale de la formation professionnelle et technique publie son [premier] cadre de référence sur l’ATE. En 1997, à l’occasion du discours sur le budget, le ministre des Finances du Québec annonce l’octroi d’une enveloppe de 3 M$ pour la mise en place, à compter de 1998-1999, du Programme de soutien financier à l’ATE en formation professionnelle et technique, sous l’égide du ministère de l’Éducation. (Lebel, 2002)

Ce programme diffère toutefois de celui d’Emploi et Immigration Canada sur quelques points, étrangement celui-ci : « la durée minimale des stages passe de 30 % à 20 % de la durée totale du programme d’études ». Si 30 % est encore présenté comme un idéal, précise Denis Lebel, « la pratique qui tend à se répandre consiste à organiser des stages représentant 20 % de la durée du programme. » (Lebel, 2002)

Les modalités

Denis Lebel qui a évalué le programme de soutien financier à l’ATE, à la demande du ministère de l’Éducation en 2002, dira de l’ATE de la formation professionnelle et de celle de la formation technique, qu’elles ont peu en commun, sinon des orientations générales et un même mode de financement. Pour faire image, il les compare à : « des frères siamois collés par la tête (orientations générales) et par une hanche (critères de financement), mais dont tous les autres membres et organes sont particuliers à chacun ». (Lebel, 2002). D’ailleurs, précisera-t-il, elles sont si différentes qu’elles sont représentées par deux associations professionnelles : l’AQAET pour l’ATE de la formation professionnelle et l’ACDEC pour l’ATE de la formation technique.

Un label, deux formules

Les cadres de référence sur l’ATE publiés par le ministère de l’Éducation depuis 1995 montrent bien les différences. Sur les finalités d’abord. Les stages de l’ATE de la formation professionnelle visent le développement de compétences ; ceux de l’ATE de la formation technique visent la mise en œuvre de compétences. Sur les modalités ensuite. Dans l’ATE de la FP, c’est l’établissement scolaire qui propose le contenu du stage. Dans l’ATE de la FT, c’est l’entreprise. Dans les deux cas, il y a néanmoins négociation et l’autre partenaire avalise la proposition. Dans l’ATE de la FP, la durée du stage est incluse dans les heures prévues au programme d’études. Dans l’ATE de la FT, la durée du stage est en ajout des heures prévues au programme d’études. Dans l’ATE de la FP, les compétences acquises lors du stage font l’objet d’une évaluation sommative réalisée par les enseignants. Dans l’ATE de la FT, non. Dans les deux cas, les tuteurs en entreprise font néanmoins une évaluation formative des compétences acquises par les stagiaires et ces derniers, une auto-évaluation. Enfin dans l’ATE de la FP, le stage est crédité et non-rémunéré. Dans l’ATE de la FT, il est non-crédité mais rémunéré. Nous sommes donc en présence de deux formules de formation alternée.

Les influences anglo-saxonnes et françaises

Ces deux formules sont, par ailleurs, bien documentés par les chercheurs français et de la francophonie. Encore aujourd’hui, c’est la typologie de Gilles Bourgeon qui demeure la plus populaire. Cet auteur propose trois types : l’alternance juxtapositive, associative ou copulative [intégrative]. Si l’on s’en tient aux définitions ministérielles, l’ATE de la formation technique appartient au premier type et l’ATE de la formation professionnelle, au deuxième bien qu’elle tende vers le troisième. Nous résumons en empruntant les définitions récentes de Patrick Guès (2010). Dans l’alternance juxtapositive, le lieu de formation et le lieu de production sont distincts. « Ils cohabitent, quelquefois en bonne intelligence, mais […] le temps en entreprise et le temps d’école sont juxtaposés sans que des objectifs de formation communs aient été définis. » Dans l’alternance associative, l’entreprise et l’école sont des partenaires dans la formation « qui identifient des objectifs de travail communs sans qu’il y ait de véritable unité du système de formation, les savoirs restant relativement isolés et les relations entre les partenaires faibles ». Enfin, dans l’alternance intégrative, les deux lieux concourent à l’acquisition des compétences d’un même métier. « Les interactions, les articulations, entre les savoirs pratiques et les savoirs théoriques sont systématiques […] ».  Comment sommes-nous parvenus à développer deux formules de formation alternée pour la formation professionnelle et technique ? Pour la formation alternée des universités et des collèges, l’influence anglo-saxonne de l’enseignement coopératif est une évidence. Les institutions s’en réclament et/ou s’en inspirent ouvertement. Pour le secondaire, l’influence est plus diffuse bien que la formule soit fortement teintée de l’approche française de l’alternance dont l’idéal est l’alternance intégrative, celle même dont s’inspire le ministère de l’Éducation et ce, depuis le tout premier cadre de référence, en 1995.

Les difficultés

Les études réalisées depuis plus d’une vingtaine d’années au Québec montrent que l’ATE de la FT et l’ATE de la FP se heurtent à des difficultés, mais qu’il ne s’agit pas tout à fait des mêmes. Comment dire… la pierre d’achoppement de l’une n’est pas celle de l’autre. Voyons cela.

Une ATE sous-financée

L’ATE de la formation technique est une formation alternée juxtapositive comme nous venons de le mentionner. L’étudiant développe les compétences du métier en école et il les met en œuvre en entreprise. L’école le forme et l’entreprise lui donne sa première expérience professionnelle. Les deux acteurs interviennent à des moments différents du développement professionnel. Le succès de ce type de formation alternée repose sur un bon service de stages. C’est ce que met en évidence Dominique Bouteiller dans une étude exhaustive sur l’ATE du Cégep Limoilou qui a fait de la formule sa marque de commerce depuis de nombreuses années. Le service de stages recrute les stagiaires, recherche les stages, négocie les mandats, assume une bonne coordination à l’interne, prépare les stagiaires, fait un suivi personnalisé, résout les cas problèmes, capitalise les expériences, a une bonne expertise sur les secteurs et un bon réseau de contacts 2). L’importance d’un bon service de stages est aussi fort bien décrite par Pierre Rivet de l’École de technologie supérieure et par Marie-France Bélanger et Éric Fernet du Collège de Sherbrooke dans des présentations faites dans le cadre du colloque international sur l’adéquation formation-emploi des 2 et 3 novembre 2015 (voir vidéoconférences, ci-contre). Un bon service de stages, c’est le mortier qui tient ensemble les acteurs dans une opération où chacun joue un rôle différent mais complémentaire. Denis Lebel a montré que la principale difficulté de l’ATE de la FT ce sont les modalités de financement qui ne permettent pas de supporter suffisamment les arrangements institutionnels nécessaires à l’organisation des stages. Pour lui, c’est une des raisons qui explique le plus faible développement de l’ATE au collégial (Lebel, 2002) 3). Le phénomène est d’autant regrettable que, lorsqu’elle est mise en œuvre, cette formule fonctionne plutôt bien comme en témoignent les résultats de l’étude de Dominique Bouteiller et des quelques autres chercheurs qui ont travaillé sur le sujet. Pour l’école et l’entreprise, elle est moins exigeante à mettre en œuvre que l’ATE de la formation professionnelle.

Le primat de la logique scolaire

L’ATE de la formation professionnelle est une formation alternée associative (dans les pratiques) qui tend vers l’intégrative dans le discours et ce, même dans celui du ministère de l’Éducation. L’école et l’entreprise forment sur les compétences d’un même programme scolaire en se les partageant. Les deux acteurs ont le même rôle et ils interviennent au même moment du développement professionnel de l’étudiant. C’est une formule exigeante à mettre en œuvre et ce, même dans les pays de la formation duale. Ce type de formation alternée exige une articulation forte entre l’école et l’entreprise. Le succès d’une telle formule repose sur un partenariat éducatif équilibré entre les deux parties et une bonne compréhension des contraintes de l’une et de l’autre, mais aussi des ressources de manière à pouvoir les maximiser dans la formation. Or chez nous, l’ATE de la FP est profondément scolaire et ce, tant sur le plan organisationnel que pédagogique. Voilà ce que nous retenons des études réalisées au cours des vingt dernières années. Sur le plan organisationnel, ce sont les enseignants de la FP qui prennent le leadership des opérations. Élisabeth Mazalon résume bien le modus operandi. Les enseignants « ont la responsabilité d’établir les modalités organisationnelles des stages [séquences, durée][…] d’élaborer les documents d’accompagnement (cahier du superviseur en entreprise et cahier du stagiaire), […] de concevoir les canevas pédagogiques requis pour l’évaluation des séquences de formation en entreprise […]. [C’est aussi eux qui informent]le superviseur en entreprise de son rôle et de ses responsabilités ainsi que des attentes du centre de formation au regard des objectifs poursuivis par les stages. » (Mazalon, 2014). Bien que les enseignants présentent le plan de formation à l’entreprise et qu’il y ait des ajustements de contenu en fonction des possibilités de l’entreprise, la relation est asymétrique au profit de la logique scolaire. Loraine Savoie-Zajc et André Dolbec ont bien résumé la situation. « Le stagiaire est plongé dans le milieu de l’usine et les apprentissages à effectuer sont planifiés à l’avance, décrits dans les modules d’apprentissage. Les apprentissages attendus sont ainsi définis extérieurement (par l’école) à la situation de stage. Ce n’est pas l’expérience de stage qui est génératrice de la trajectoire des apprentissages, mais bien la structure scolaire des modules théoriques qui fournit un cadre aux expériences du milieu du travail. […] L’école reste propriétaire du programme de formation dont elle assume l’unique responsabilité et les formateurs en usine sont cantonnés dans un rôle de supervision des stagiaires afin de s’assurer qu’ils accomplissent bien certaines tâches requises par le programme d’études. [Ce modèle] est à l’opposé du modèle idéal de l’alternance, modèle dit « conjonctif » [modèle qui correspond grosso modo à l’alternance intégrative]. » (Savoie-Zajc et Dolbec, 2002 : en conclusion) À cette asymétrie sur le plan organisationnel, en correspond une autre, plus subtile : le primat de la formation formelle sur l’apprentissage expérientiel. « La stratégie pédagogique de l’alternance ne doit pas se limiter à une approche déductive, privilégiée par la tradition scolaire, mais plutôt favoriser une approche inductive et expérientielle qui consiste à la formalisation des expériences pratiques lors de la séquence d’exploitation en milieu scolaire ». (Landry, Mazalon, 1998 : 107) Pour résumer beaucoup, car nous entrons ici dans le domaine de la pédagogie et de la didactique de l’alternance, l’approche déductive, c’est s’en tenir à la matière du programme pour faire réfléchir les élèves sur les compétences acquises en entreprise et l’approche inductive, c’est le mouvement inverse. Plus concrètement, selon Grégory Munoz, « la démarche inductive préconise, […], de partir des expériences en entreprise des apprenants pour : 1- les récupérer en centre de formation, lors de réunions de restitution et de mise en commun des vécus, dès leur retour d’entreprise, 2- les comparer afin d’en extraire les éléments invariants afin d’aller aux lois et aux concepts, et 3-amener les apprenants à appliquer ces nouveaux apports dans l’atelier du centre ou lors de la prochaine période en entreprise (Munoz, 2004 : 1) ». La formation en entreprise déborde la matière scolaire et les enseignants sont peu attentifs à cette dimension. Claudia Gagnon qui a travaillé sur l’arrimage des pratiques éducatives des enseignants et des formateurs en entreprise constate qu’il y a bien des liens entre l’école et l’entreprise dans la planification des objets de formation, mais que « les enseignants ne tiennent pas compte des autres objets de formation abordés en entreprise » (2007 : 166).

Un nouveau rôle qui inquiète les enseignants

L’ATE de la formation professionnelle insécurise les enseignants. Pour deux raisons : la durée des stages est incluse dans les heures prévues au programme et ce sont eux qui sont responsables de l’organisation, de la planification, du suivi et de l’évaluation des stages. Rien de tel au collégial puisque la durée des stages est en ajout des heures prévues au programme et qu’ils sont gérés par un service de stages. C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre la crainte des enseignants dont fait état l’étude du CSMO-auto, à l’effet  « de perdre leur emploi ou de voir leur nombre d’heures diminuer si les entreprises occupent un rôle plus important dans la formation des élèves » et d’avoir à assumer un rôle pour lequel ils estiment ne pas avoir « le profil, les compétences et la préparation nécessaires ». Un rôle qui exige en outre « une paperasse importante ainsi que des déplacements réguliers » et une charge additionnelle dont les heures ne sont pas toujours rémunérées ou rémunérées adéquatement. (CSMO-Auto, 2015) Denis Lebel avait aussi fait ce constat en 2002. « Parmi les aspects plus difficiles [de l’ATE de la FP], on note l’inévitable augmentation de la charge de travail et, dans certains milieux, des mésententes avec l’employeur sur la façon de comptabiliser et de rémunérer le temps consacré à l’organisation des stages et la supervision des stagiaires. » (Lebel, 2002) Les enseignants s’inquiètent aussi pour la qualité de la formation.  Pour eux, « les étudiants ont besoin d’acquérir un certain nombre de connaissances théoriques et fondamentales ainsi que de bonnes techniques et habitudes de travail pour pouvoir être compétents dans leur métier ». Et les centres de formation professionnelle « offrant un contexte qui n’est pas régi par des exigences de performance et de rapidité et où les erreurs sont permises […] sont les mieux placés pour permettre ce type d’apprentissage » (CSMO-Auto, 2015).

Des entreprises qui préfèrent des stages longs avec des stagiaires déjà formés

Dominique Bouteiller (2008) a demandé aux entreprises quels étaient les prérequis pour un stage gagnant. Elles en ont identifié deux importants et les voici dans l’ordre. Le premier des prérequis, c’est la durée du stage, plutôt des périodes de stages. Celles-ci doivent être suffisamment longues pour permettre « à l’étudiant de faire de vrais apprentissages » et à « l’entreprise de récolter les fruits de son implication ». Ce que permet l’ATE de la formation technique, les entreprises estimant qu’il faut « six semaines et demi pour que les stagiaires deviennent opérationnels et productifs sur les tâches qui leur sont confiées », soit la moitié d’une période de stage. Le second prérequis, c’est le niveau de connaissance et d’expérience du stagiaire. Les entreprises préfèrent un stagiaire qui a « les connaissances théoriques et des savoir-faire pratiques suffisants pour s’intégrer efficacement » (Bouteiller, 2008). D’autres études vont dans ce sens à l’effet que les entreprises préfèrent des stagiaires avancés dans leur parcours de formation et qui ont, de ce fait, moins besoin d’encadrement (CSMO-Auto, Fédération des Cégeps). Ces prérequis ne sont pas présents dans l’ATE de la FP. Les périodes de stages sont courtes : 4, 5, 6 semaines contre 12, 13 pour l’ATE de la FT. Une situation soulevée par les entreprises qui reçoivent des stagiaires de l’ATE de la FP qui souhaiteraient « qu’ils soient avec elles à temps plein sur de plus longues périodes » (CSMO-auto, 2015). Les chercheur(e)s Marcelle Hardy et Louise Ménard (2008) ont aussi évoqué que ces « stages courts ne favorisent pas l’apprentissage quand [une entreprise] accueille un ou des élèves pendant un mois, à quelques reprises, au cours de leurs études professionnelles ». Quant au niveau de connaissance et d’expérience des stagiaires, il est plus qu’élémentaire. Ce sont des novices qui sont en entreprise pour les acquérir alors que les stagiaires de l’ATE de la FT les ont, étant en entreprise pour les mettre en œuvre. Les stagiaires de l’ATE de la FP sont doublement coûteux pour les entreprises. D’une part, ils requièrent plus de temps de supervision et ils augmentent les risques de bris mécaniques, de gaspillage de matériaux, d’accidents, cela d’autant que les objectifs de stage, liés au programme scolaire, exigent de les familiariser avec des tâches et des équipements que les entreprises ne confient pas à des novices. D’autre part, la durée des périodes de stages n’est pas suffisante pour que les entreprises obtiennent un retour sur leur investissement.

Quelques résultats d’intérêt, mais nous devons aller plus loin

Quels enseignements pouvons-nous tirer de l’actuelle alternance travail-études pour favoriser le développement d’une alternance aux stages prolongés ?

Nous avons vu, avec Denis Lebel, que la durée minimale des stages est passée de 30 % à 20 % lorsque le gouvernement du Québec a pris le relai du gouvernement fédéral pour le financement de l’alternance travail-études. L’auteur ne donne pas d’explication et, nous avons cherché, aucun chercheur ou consultant ne l’a fait depuis. Comme il parle d’une « pratique qui tend à se répandre » cela laisse entendre qu’il y a des causes systémiques qui rendent le seuil de 30% difficilement atteignable. Qu’elles sont-elles ? C’est là une question d’intérêt puisqu’elles risquent de se produire de nouveau limitant le développement de stages prolongés.

Nous avons vu aussi que nos formations alternées puisaient à deux traditions, l’anglo-saxonne pour l’ATE de la formation technique et la française pour l’ATE de la formation professionnelle. Nos politiques, mesures et programmes sont souvent le résultat de ces deux traditions. La nouvelle formation alternée pourra-t-elle ne faire que du développement de compétences ou que de la mise en œuvre ? Il faudra fort probablement un mélange des deux. À quelle synthèse parviendrons-nous ? Pouvons-nous élaborer des scénarios en mettant à profit ce qui fonctionne bien et moins bien dans les deux formules ?

Nous avons vu qu’il y a des difficultés inhérentes à la nature même des deux alternances. L’ATE de la formation technique, comme toute ATE juxtapositive, est moins exigeante à mettre en œuvre pour les enseignants et les tuteurs en entreprise parce que chacun assume un rôle différent et intervient à un moment différent du développement professionnel de l’étudiant. Les difficultés sont en amont, en aval et tout autour de ces acteurs, dans les arrangements institutionnels à mettre en place pour supporter le dispositif. A contrario, l’ATE de la formation professionnelle est difficile à mettre en œuvre pour les enseignants, les tuteurs en entreprise et les étudiants, comme l’est toute alternance associative et, plus encore, intégrative. Chez nous, elle est d’autant difficile à mettre en œuvre, qu’elle est profondément scolaire et ce, tant sur le plan organisationnel que pédagogique. Une nouvelle formation alternée aux stages prolongés pourra-t-elle éclore dans un cadre aussi scolaire ? Si l’on souhaite impliquer les entreprises en leur donnant une forte responsabilité de formation, nous avons avantage à équilibrer l’apport des deux acteurs. Et pour cela, nous devrions mettre à contribution, en plus des professionnels et praticiens de l’alternance  ❶ les chercheur(e)s qui travaillent sur l’ATE parce qu’ils ont fait, depuis vingt ans, des recommandations qui vont dans ce sens et ❷ les partenaires sociaux, entre autres les comités sectoriels de main-d’œuvre, parce qu’ils ont une bonne expertise de la formation en entreprise.

Nous avons vu que l’ATE de la formation professionnelle suscite de la résistance de la part des enseignants puisqu’elle réduit le temps d’enseignement à l’école et qu’elle leur confère un nouveau rôle pour lequel ils estiment ne pas être préparés, ni suffisamment rétribués. Allonger la durée des stages en entreprise risque d’accentuer considérablement leurs résistances si le temps de formation en entreprise est pris sur les heures prévues au programme. Il y  a aussi les entreprises qui préfèrent des stagiaires qui ont déjà acquis un minimum de compétences. Les novices sont coûteux et les stages de l’actuel ATE de la FP sont trop courts pour permettent un retour sur leur investissement. Allonger la durée des stages en entreprise devrait leur convenir. Par contre, seront-elles plus favorables à l’accueil de stagiaires novices pour du développement de compétences ? Les écoles et les entreprises ont du mal avec les stages de développement de compétences pourquoi ne pas miser davantage sur les stages de mise en œuvre de compétences ? Sur l’alternance juxtapositive plutôt qu’intégrative ?

En terminant, il y a une question de fond et elle vient des enseignants : si le temps de formation en entreprise est pris sur le temps du programme scolaire, peut-on prolonger la durée des stages à hauteur de 50% sur des programmes de courte durée sans réduire la qualité de la formation ? Lorsque l’on donne en exemple la formation duale de l’Allemagne et de la Suisse, on oublie qu’il s’agit de programmes d’apprentissage qui s’étalent sur trois et quatre ans pour les métiers spécialisés et techniques. Et qu’aux termes de ces programmes, les élèves ont bénéficié de 1 000 à 1 600 heures de formation en école 4). Que vaudront des AEC, des AEP et des DEP de moins de 1 800 heures, avec de la formation en école oscillant entre 450 à 900 heures ? Si cela peut s’envisager sans trop de dommages pour des métiers moins qualifiés, ce n’est pas le cas pour des métiers spécialisés et techniques qui ne cessent de se complexifier requérant de plus en plus la maîtrise de savoirs formels, les « STEM » pour reprendre l’acronyme anglo-saxon 5).

Notes

  1. Plan économique du Québec, mars 2015 et Journal de Québec, jeudi 3 septembre. Le journaliste rapportant les propos du ministre François Blais, alors ministre de l’Éducation
  2. Cette liste provient de l’étude de Dominique Bouteiller (2008).
  3. Les statistiques sur l’ATE montrent que plus ou moins 5% des étudiants de la formation technique sont inscrits en ATE, alors que plus ou moins 10% des étudiants de la formation professionnelle le sont. Ces chiffres sont approximatifs. Dans le numéro de septembre, nous allons publier un article sur les statistiques de l’ATE .
  4. Admettant qu’une année scolaire comprenne de 900 à 1 000 heures, sachant que la partie scolaire correspond à 40% du programme, c’est un minimum de 360 heures de scolarité par année qui est dispensée en école.
  5. STEM pour science, technology, engineering, et mathematics.  La littérature anglo-saxonne foisonne sur le sujet depuis près de 20 ans. Dans le monde francophone, elle commence à poindre sous l’acronyme STGM. Les anglo-saxons estiment nécessaire de renforcer l’enseignement des STEM au primaire et au secondaire, mais aussi à l’enseignement professionnel puisque les compétences en science, technologie, génie et mathématiques sont essentielles à l’exercice des métiers spécialisés et techniques.

Références

BOUTEILLER, D. (2008). Recruter des jeunes talents en alternance travail-études. Conférence prononcée dans le cadre du colloque Pénurie de main-d’œuvre, l’urgence d’agir, 20 mars.

CSMO-AUTO (2015). Formule d’alternance travail-études (ATE) pour les métiers de l’industrie des services automobiles. Longueuil, Comité sectoriel de main-d’œuvre des services automobiles.

GAGNON, C. (2008). Arrimage des pratiques éducatives d’enseignants et de formateurs en entreprise en contexte d’alternance. Études de cas en formation professionnelle agricole. Thèse de doctorat en éducation, Université de Sherbrooke, Faculté d’éducation, Sherbrooke.

GUÈS, P. (2010). Blogue sur l’alternance, https://patrickgues.wordpress.com/author/patrickgues/

LEBEL, D. (2002). Rapport d’évaluation du Programme de soutien financier à l’alternance travail-études, de 1998-1999 à 2000-2001. Québec, Ministère de l’éducation, Secteur de la formation professionnelle et technique et de la formation continue, Octobre.

HARDY, M. et MÉNARD, L. (2008). Alternance travail-études : les effets des stages dans la formation professionnelle des élèvesRevue des sciences de l’éducation, vol. 34, n° 3, p. 689-709.

MAZALON, É. et LANDRY, C. (1998). L’alternance au Québec, une idée ancienne pour de nouvelles pratiques de formation. Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, vol. 5, nᵒ1, p. 93-116.

MAZALON, É., GAGNON, C. et ROY, S.  (2014). L’encadrement des stagiaires en milieu de travail, une étude exploratoire dans un cadre formel d’alternance en formation professionnelle initiale. Éducation et francophonie, volume xlii, nᵒ1, p. 113-135

MUNOZ, G. (2004). Apport de la didactique professionnelle à la démarche inductive en pédagogie de l’alternance. Proposition pour la 7 Biennale de l’Éducation et de la formation 2004.

Roy, S. (2015). Accompagnement de stagiaires dans le milieu de travail en contexte d’alternance en formation professionnelle au Québec. Thèse de doctorat en éducation, Université de Sherbrooke, Faculté d’éducation, Sherbrooke

SAVOIE-ZAJC, L. et DOLBEC, A. (2002). L’alternance dans un programme de formation en pâtes et papier : Une vision systémique. Dans C. Landry (dir.), La formation en alternance : État des pratiques et des recherches (p. 217-246). Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.

En savoir plus

Pour ceux et celles, moins familiers avec l’alternance travail-études québécoise, visionnez la vidéoconférence de Marcelle Parr. Marcelle a conçu la documentation ministérielle « L’alternance travail-études : c’est plus que des études » du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec paru en 2006. Cette conférence fut présentée en avril 2015 dans le cadre du Colloque international sur la formation duale et alternée de l’OCE.

Extrait

Le gouvernement souhaite augmenter la durée des stages de la formation professionnelle et technique. La formule éducative qui s’approche le plus de ce projet est celle de l’alternance travail-études (ATE). S’il faut construire l’avion en volant, pour reprendre une expression du milieu, il peut être utile de se guider en réinvestissant la connaissance des points forts et des points faibles de l’actuelle ATE. Dans cet article, nous donnons un aperçu d’un tel exercice. Nous croyons cependant qu’il devrait être entrepris de façon systématique.

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