Juin 2012 | Vol. 3 | N°2

Adéquation formation-emploi dans les métiers menant aux emplois manufacturiers au Québec

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Depuis le début de la décennie 2000, le secteur manufacturier décline au Québec. En dix ans, soit de 2000 à 2010, il est passé de 23,6 % à 16,3 % du produit intérieur brut (PIB) accusant une chute de plus de 30%. Les emplois suivent ce mouvement, bien que certaines industries s’en tirent mieux que d’autres.1)

Qu’en est-il de la formation menant aux emplois manufacturiers? Est-elle aussi en déclin? Au Québec, plusieurs programmes du réseau de l’éducation conduisent à l’exercice des emplois manufacturiers. Au secondaire, il y a le DEP et l’ASP; au collégial le DEC et l’AEC techniques et à l’université, les programmes d’administration, d’ingénierie et de sciences appliquées, tout cela sans compter les nombreuses formations sur mesure non créditées via lesquelles nous qualifions beaucoup de monde sans qu’il en soit garder de trace2). Le réseau de l’emploi a lui aussi ses propres certifications dont le Certificat de qualification professionnelle (CQP) d’Emploi-Québec, qui existe depuis deux décennies. Précisons que les CQP sont obtenus au terme d’un programme d’apprentissage en milieu de travail (PAMT) et plus récemment, au terme d’un processus de reconnaissance des compétences.

Les statistiques officielles montrent une tendance à la hausse du nombre de diplômés de la formation professionnelle et technique du réseau de l’éducation depuis une dizaine d’années. Au cours de la dernière décennie, les diplômes de la formation professionnelle (DEP, ASP) ont augmenté de 3,4% par année et ceux de l’AEC, de 9%3). Seul le nombre de diplômés de DEC est relativement stable sur la période. Quant au Certificat de qualification professionnelle (CQP) d’Emploi-Québec – accessible à la main-d’œuvre en emploi et plus récemment « sans emploi » – il a pris son envol depuis que les comités sectoriels de main-d’œuvre conçoivent les programmes sous l’égide de la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT) dans le cadre des normes professionnelles, tel qu’en témoigne un taux de croissance annuelle de 30,8%.

TCAC : DEC = -0,6% | AEC = 9,0%
Source : MELS, SPRS, DSID, Portail informationnel, système Socrate, données au 2011-02-26

TCAC : DEP = 3,4% | CQP = 30,8%
Sources : MELS, SPRS, DSID, Portail informationnel, système Charlemagne, données au 2011-04-30 (DEP, ASP) pour les sanctions du MELS et pour les CQP, Emploi-Québec, novembre 2011

Ce tableau d’ensemble, relativement encourageant à première vue, l’est-il autant pour les industries de fabrication de biens? Pour répondre à cette question, nous proposons d’examiner le nombre de diplômés des programmes de la formation professionnelle et technique (DEP, DEC et AEC) et de CQP menant à des emplois manufacturiers.

Comme il n’existe pas de correspondance parfaite entre secteurs de formation de la FPT, les programmes et les emplois, nous avons retenus les secteurs dont la majorité des programmes mènent à des emplois manufacturiers. Pour la FP et les CQP, il s’agit des suivants : métallurgie, fabrication mécanique, électrotechnique, mécanique d’entretien, foresterie et papier, bois et matériaux connexes et communication et documentation (imprimerie), cuir, textile et vêtements; pour les DEC et les AEC les six premiers puisque les deux derniers mènent, pour l’essentiel, à des emplois tertiaires dans les domaines des médias et de la mode4). Pour les CQP nous avons retenus ceux qui mènent à des emplois manufacturiers que nous avons classés par secteurs de formation de la FPT5).

Les tableaux suivants montrent qu’il y a déclin des diplômés dans les secteurs qui mènent aux emplois manufacturiers à raison de 5% par année pour les DEC et de 2% pour les DEP, au cours de la dernière décennie. Quant aux AEC et aux CQP, les premiers sont stables alors que les seconds progressent substantiellement pour les raisons évoquées précédemment.

TCAC : DEC Manuf. = -5,3% | DEC Autres = 0,0%
Source : MELS, SPRS, DSID, Portail informationnel, système Socrate, données au 2011-02-26

TCAC : AEC Manuf. = -0,3% | AEC Autres = 10,1%
Source : MELS, SPRS, DSID, Portail informationnel, système Socrate, données au 2011-02-26

TCAC : FP Manuf. = -2,1% | FP Autres = 5,2%
Source : MELS, SPRS, DSID, Portail informationnel, système Charlemagne, données au 2011-04-30

TCAC : CQP = 27,5% | CQP = 36,4%
Source : Emploi-Québec, novembre 2011

Est-ce que toutes les industries manufacturières sont affectées pareillement par ce déclin? Voici les données provenant des mêmes sources, présentant l’évolution du nombre de diplômés par secteur de formation et par type de sanction.

TCAC : CQP = 27,5% | CQP = 36,4%
Source : Emploi-Québec, novembre 2011

TCAC : DEC = * | AEC = * | FP = 0,0% | CQP = 36,6%

TCAC : DEC = -4,2% | AEC = 6,7% | FP =-3,0% | CQP = 19,3%

 

TCAC : DEC = -6,8% | AEC = * | FP = -3,6% | CQP = *

TCAC : DEC = -8,1% | AEC = * | FP = -6,6% | CQP = 39,5%

TCAC : DEC = * | AEC = * | FP = -1,2% | CQP = 26,0%

TCAC : FP = -5,9% | CQP = 38,6%

TCAC : FP = -11,3% | CQP = *

Tel que nous pouvons le constater, il y a déclin du nombre de diplômés de DEC dans presque tous les secteurs dont les programmes conduisent à des fonctions de travail manufacturières : métallurgie, fabrication mécanique, électrotechnique, mécanique d’entretien, foresterie et papier. Seul bois et matériaux connexes connaît une relative stabilité, cependant marquée par une évolution en dents de scies sur la période.

Le déclin des diplômés du DEC des secteurs électrotechnique, mécanique d’entretien et fabrication mécanique (bien que dans ce dernier cas les AEC compensent) est fort préoccupant parce qu’il s’agit de la main-d’œuvre technicienne qui exerce des fonctions de pointe en milieu manufacturier (et dans d’autres industries) liées à l’automation et aux nouvelles organisations du travail. Les AEC en électrotechnique et en fabrication mécanique foisonnent témoignant de cette réalité. Est-ce qu’on a là une offre suffisante de techniciens en regard des besoins en compétences actuelles et futures du marché du travail ? Le fait qu’ils s’agissent de fonctions transversales, par nature multi-sectorielles, ne favorise pas la réflexion collective sur cette question.

Les diplômés d’AEC présentent un tableau contrasté : déclin pour électrotechnique et foresterie; relative stabilité pour mécanique d’entretien, bois et matériaux connexes et métallurgie – bien que cette stabilité soit aussi marquée par une évolution en dents de scies sur la période; et enfin, progression pour fabrication mécanique.

Dans les secteurs ou elles sont relativement stables et plus encore dans la fabrication mécanique où elles progressent, les AEC peuvent compenser la diminution d’effectifs de DEC. Et si nous avons tendance à déplorer leur grand nombre, conçues pour répondre à des besoins d’entreprises, ce sont tout de même des indicateurs de la demande de nouvelles compétences sur le marché du travail. La même observation vaut pour les formations sur mesure non créditées. Il y a là tout un terreau de besoins nouveaux qu’il vaudrait la peine d’investiguer, notamment pour le secteur manufacturier.

Il y a déclin du nombre de diplômés de DEP dans les secteurs foresterie/papier, communication/documentation i.e. imprimerie, cuir/textile/habillement, fabrication mécanique et mécanique d’entretien et, dans une moindre mesure, bois et matériaux connexes. Quant aux secteurs métallurgie et électrotechnique, ils présentent une relative stabilité.

Les détenteurs de CQP, nous l’avons vu précédemment, sont en nette progression. Le phénomène est particulièrement important dans les secteurs de la métallurgie, de la fabrication mécanique et du bois et matériaux connexes. Viennent ensuite, les CQP de l’imprimerie et de la foresterie et papier. S’il y a bien progression des CQP des autres secteurs mécanique d’entretien, électrotechnique, cuir, textile et habillement, transformation alimentaire, elle est moins spectaculaire.

Si la tendance au déclin des DEP et à la progression des CQP se maintient, notamment dans les secteurs en déclin que sont foresterie papier, communication documentation (imprimerie), cuir, textile habillement, bois et matériaux connexes, il y aura autant, sinon plus de CQP que de DEP dans ces secteurs d’ici quelques années.

Dans un monde idéal les deux certifications sont complémentaires – un individu acquérant d’abord un DEP en formation initiale, ensuite un CQP en milieu de travail – mais la réalité est plus compliquée et cette situation est génératrice de malentendus entre les acteurs des réseaux de l’éducation et de l’emploi.

Rappelons qu’au début de la décennie 1990, le CQP fut conçu comme complément à la formation professionnelle initiale pour faciliter l’intégration en emploi des diplômés du DEP ou de l’ASP. Toutefois, très tôt, le Régime de qualification d’Emploi-Québec – aujourd’hui Programme d’apprentissage en milieu de travail – a été utilisé pour former des apprentis qui n’avaient pas de diplômes de formation professionnelle. Ainsi, en 2009, 78% des détenteurs de CQP du Comité sectoriel des portes et fenêtres, du meuble et des armoires de cuisine n’avaient pas de diplôme de formation professionnelle (Hart, 2010 : 13). Par contre, il n’est pas certain qu’il en soit ainsi pour tous les CQP. Dans les programmes de l’usinage, par exemple, il est possible que la proportion soit inversée puisque la majorité des machinistes détient un diplôme de la FPT6).

Ce qui nous amène à cette question : est-ce que les CQP peuvent compenser les pertes du DEP ? Comme les CQP ne comportent plus de savoirs théoriques à transmettre ou de compétences générales à acquérir en dehors des activités de travail, cette question renvoie à celle-ci : est-ce qu’une profession ou un métier peut s’acquérir exclusivement en travaillant ? S’il y a des professions, telles que médecin ou ingénieur, dont la réponse vient spontanément à l’esprit, lorsqu’il s’agit des professions d’ouvriers, il est difficile de trancher.

Derrière cette question, il y a un enjeu de société qui est celui de la qualification de la main-d’œuvre manufacturière. Pour prendre la mesure de cet enjeu, il faut comprendre la valeur ajoutée d’une formation professionnelle et technique dispensée en milieu scolaire et pour ça, connaître les impacts de celle-ci sur le développement professionnel des ouvriers. Grâce à une méthodologie qu’il a importé de France, le Comité sectoriel de la fabrication métallique industrielle mesure, depuis plus d’une décennie déjà, l’influence de la formation professionnelle et technique sur le développement professionnel des ouvriers. C’est ce dont nous traitons dans un article de ce bulletin, consacré à ce sujet.

Notes

  1. Le TCAC est le taux de croissance annuel composé. La formule est la suivante : ((dernière valeur/première valeur) élevée à la puissance (1 / années)) – 1.
  2. Dans une étude réalisée en 2006 sur 1 013 community colleges américains (il en existe environ 1 167 aux Etats-Unis), le Center for Regional Economic Competitiveness estimait que plus de 3 millions de personnes avaient suivi des formations spécialisées sur mesure non créditées l’année précédente – soit 20% de la clientèle des community colleges. En outre, la même année, plus de la moitié des community colleges investigués avait offert des formations spécialisées sur les compétences manufacturières et ce, à 871 000 personnes, ce qui représente 6% de la main-d’œuvre manufacturière. (Jacobs, 2009 : 238) Au Québec, depuis plus de trente ans, les centres de formation professionnelle et les collèges, via leurs services aux entreprises (SAE), offrent de la formation sur mesure aux entreprises (souvent financées par les mesures d’Emploi-Québec) sans qu’il en soit gardé de trace au niveau national. Quelle proportion de la main-d’œuvre manufacturière avons-nous formé ainsi? À notre connaissance, personne ne s’est encore intéressé à cette question. Or le phénomène mérite d’être investigué du point de vue des politiques publiques de l’éducation et de l’emploi.
  3. Le TCAC est le taux de croissance annuel composé. La formule est la suivante : ((dernière valeur/première valeur) élevée à la puissance (1 / années)) – 1.
  4. Ce choix nous a amené à délaisser certains programmes qui forment des techniciens qui œuvrent en milieu manufacturier parce qu’ils sont isolés dans des secteurs ayant une autre vocation. Ces programmes sont peu nombreux et on les retrouve surtout au collégial. Nous avons repérés entre autres ceux-ci : techniques de l’informatique industrielle relevant de l’administration, commerce et informatique; techniques de procédés et de génie chimiques relevant de chimie, biologie; techniques de transformation de produits aquatiques relevant d’agriculture et pêches; techniques de procédés et de la qualité des aliments et trois AEC intitulés salubrité et pratiques en industrie alimentaire, inspecteur en alimentation et entreprendre en transformation alimentaire relevant d’alimentation et tourisme.
  5. Cette opération nous a amené à exclure les CQP contrôleur de la qualité – usines de transformation de produits aquatiques, préposé à la transformation de produits marins, boucher industriel-abattage et boucher industriel-découpe puisqu’il n’existe pas de secteur FPT dédié à la transformation alimentaire. Voir le tableau de correspondance que nous avons produit entre le CQP et les secteurs de la FPT.
  6. Dans les ateliers d’usinage, 6% seulement des machinistes ne détient pas un diplôme de formation professionnelle (Riverin, 2004 : 49).

Références

Deloitte (2012a). Le point sur le secteur manufacturier, des solutions pour l’avenir. Version intégrale. Montréal, Samson Bélair/Deloitte & Touche. Cette version n’est pas publique. Pour l’obtenir, contactez Mathieu Parent au 514-393-7182.

Deloitte (2012b). Le point sur le secteur manufacturier, des solutions pour l’avenir. Résumé. Montréal, Samson Bélair/Deloitte & Touche.

Hart, S. A. (2010). Rapport sur les effets du Programme d’apprentissage en milieu de travail. Montréal, Comité sectoriel de main-d’œuvre des industries des portes et fenêtres, du meuble et des armoires de cuisine. Document disponible sur le site du Comité.

Jacobs, J. (2009). The diminished role of training and education in manufacturing and the imperative for change”, dans : McCormack R. Ed., Manufacturing a better future for america. Washington : Alliance for American Manufacturing.

Riverin, G., Hart, S. A. (2004) Carte des emplois pour les ateliers d’usinage au Québec, Montréal, CSMOFMI. Document disponible sur le site du comité.

Extrait

Dans cet article, nous dressons un portrait exclusif de l’évolution récente de la formation professionnelle et technique dans le secteur manufacturier alors qu’il est en déclin.

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