Décembre 2017 | Vol. 8 | N°2

Les technologies collaboratives ? Une source d’inspiration pour une nouvelle ingénierie de formation

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Au cours des dernières années, l’essor des technologies dites collaboratives a entraîné de nombreux changements dans l’organisation du travail. Dans le secteur de la construction, cette tendance s’est manifestée par l’augmentation marquée de l’utilisation du Building Information Modeling (BIM) en Europe, aux États-Unis, au Canada et au Japon (Chaudet et al., 2016; MacGraw Hill Construction, 2014).

Voyant cet enjeu poindre à l’horizon, les cégeps du Vieux-Montréal et de Limoilou ont anticipé, en 2013, l’émergence de besoins de formation liés au BIM. Ils ont contacté The Associated General Contractor of America (AGC), l’une des plus importantes associations du secteur de la construction aux États-Unis et se sont entendus avec eux pour devenir les diffuseurs officiels de leur formation en BIM dans la francophonie. Après un travail d’adaptation et de traduction de la formation et une vaste opération d’information et de diffusion auprès des acteurs de l’industrie de la construction, le programme PeBIM était lancé en janvier 2015. Les Cégeps ont en outre fait reconnaitre le programme par la Sofeduc et par le CanBIM Professional, organisme canadien certificateur du BIM. Depuis l’École de technologie supérieure (ETS) s’est jointe aux cégeps pour la diffusion du programme et le mouvement s’est poursuivi, les cégeps ayant développé un ensemble de formations spécialisées en BIM.

Le BIM intéresse l’Observatoire pour deux raisons. La première, il semble insuffler de nouvelles formes de collaboration entre les établissements d’enseignement et les acteurs de l’industrie. La seconde, ces rapports tendent à redéfinir le processus d’ingénierie de formation. Selon Leesa Hodgson et Simon Brodeur, respectivement directrice et conseiller pédagogique à la direction de la formation continue et aux entreprises du cégep du Vieux-Montréal, le BIM a un « effet collaboratif ». Nous revenons ici sur cet effet et réfléchissons à sa portée sur l’enjeu de l’adéquation formation-emploi.

Le BIM, qu’est-ce que c’est ?

Le BIM c’est un ensemble de pratiques et de processus de collaboration qui s’organisent autour d’une maquette numérique du bâtiment. La maquette est un peu comme un dossier médical, elle contient les caractéristiques tant physiques que fonctionnelles d’un bâtiment et on y consigne toutes les interventions effectuées. Dans un projet de construction fonctionnant en BIM, la maquette remplace les nombreux plans de construction qui sont souvent à valider et revalider. Elle est partagée électroniquement entre les différents acteurs qui vont s’y référer pour obtenir les informations nécessaires à la réalisation leurs travaux. Selon les développements sur le chantier, ils vont ajouter ou modifier des informations directement dans la maquette pour qu’elles correspondent avec la réalité. Les autres acteurs en sont informés en temps réel et peuvent s’ajuster au besoin.

En regroupant toutes ces informations à un même endroit, la maquette devient un outil de coordination de l’action des acteurs. Leesa Hodgson précise que sur un chantier de construction :

Le BIM incite, dès la période d’appel d’offres jusqu’à la démolition d’un bâtiment, tous les gens à travailler sur les mêmes données, les mêmes maquettes, dans un mode collaboratif. Donc, [le BIM] force tous les intervenants d’un chantier ou du secteur de la construction à travailler ensemble. Ce qu’ils ne font pas, naturellement.

Le BIM c’est donc une méthode de travail axée sur la collaboration des acteurs autour d’un outil de partage d’informations, la maquette numérique. Cette méthode se veut un moyen d’améliorer l’efficacité du travail et de réduire les coûts de l’ensemble des phases du cycle de vie d’un bâtiment (conception, construction, exploitation et démolition). Comme le soulignent Daniel Forgues et Albert Lejeune (2015), le BIM amène une transformation radicale de la façon dont les projets de construction sont planifiés, réalisés et gérés. Cela représente un important défi pour les acteurs du secteur qui doivent apprendre à travailler différemment et adopter de nouveaux processus.

Un effet collaboratif entre les acteurs de l’industrie et ceux de l’éducation

Les pratiques de collaboration qui s’organisent autour du BIM dépassent la réalisation de projets de construction. D’autres formes de collaboration entre les acteurs de l’industrie et les établissements d’enseignements supérieurs se sont instaurées dont la Table multisectorielle BIM qui a pour objectif de « favoriser les échanges et le dialogue entre les principaux acteurs de l’industrie de la construction afin de créer un contexte favorable à l’adoption du BIM » 1) 2).

Le programme PéBIM a valu aux cégeps du Vieux-Montréal et de Limoilou une participation à cette table. Pilotée par l’ETS, elle regroupe les ordres professionnels (architectes et ingénieurs), l’Association des architectes indépendants en pratique privée, la Corporation des entrepreneurs généraux, Hydro-Québec, la Commission de la construction du Québec, la Société québécoise des infrastructures, le ministère de l’Économie, de la science et de l’innovation et des chercheurs du domaine. La formation est une priorité pour tous ceux qui sont sur cette table-là a pu constater Simon Brodeur qui indique que :

Sans formation, le gouvernement, les institutions et les entreprises ne seront pas capables de prendre ce virage technologique. Donc, nous on a vu très clairement que nous avions un rôle à jouer.

C’est ainsi que les cégeps ont pu saisir que de nouvelles fonctions de travail émergeaient et créer deux AEC de perfectionnement, une en coordination de maquettes numériques BIM et une autre en modélisation de bâtiments, pour y répondre. Pour concevoir ces AEC, ils ont utilisé l’Analyse de profession (AP) – dispositif d’ingénierie de formation propre à l’approche par compétences québécoise 3)– de façon originale, en regroupant des experts provenant des entreprises les plus innovantes pour leur faire décrire « les tâches d’avant-garde » liées au BIM.

Ils ont aussi impliqué les professeurs du département d’architecture dans la conception des AEC poursuivant sciemment un double objectif : donner de la crédibilité aux formations nouvelles – puisque les experts de la formation, ce sont les profs – tout en les mettant en contact avec les transformations de l’industrie pour qu’ils puissent être en mesure de faire évoluer la formation initiale (DEC).

On sait que quand il va y avoir des révisions ou des aménagements de programmes, il est fort probable que le département décide d’inclure des aspects de ces formations-là [celles en BIM] dans leurs programmes réguliers, les rendant plus pertinents pour les jeunes qui vont sortir sur le marché du travail et travailler dans ces mêmes entreprises que nous on contribue à former.

Ils ont complété cette offre par de la formation continue sur des outils techniques liés au BIM et de la formation sur mesure destinée aux entreprises. Récemment, les cégeps ont développé, en collaboration avec Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ), un nouveau programme permettant aux entreprises manufacturières québécoises de modéliser leurs produits afin qu’ils puissent être intégrés dans la maquette numérique dès l’étape de construction virtuelle d’un projet. Mais ce programme n’a pas été offert puisque les entreprises manufacturières ne saisissent pas encore l’impact d’une telle formation.

Leesa Hodgson précise que les cégeps sont ainsi reconnus comme des spécialistes dans le domaine et qu’ils sont régulièrement contactés par des entreprises qui veulent s’informer sur le BIM.

Un effet collaboratif entre les établissements d’enseignement

Des pratiques similaires entre les cégeps et l’ETS permettent de renforcer la complémentarité des formations. En collaborant à l’aide d’outils de partage d’informations en ligne, les établissements d’enseignement peuvent développer leurs programmes dans un véritable continuum de formation, c’est-à-dire selon une progression cohérente des contenus. Comme Simon Brodeur l’indique :

Ça fait en sorte que notre curriculum d’AEC se développe en complémentarité avec ce qui se fait au bac et à la maîtrise à l’ETS. C’est un continuum de formation. On n’est pas en train de se marcher sur les pieds, c’est très complémentaire.

Ce sont aussi des pratiques collaboratives entre les établissements d’enseignement qui rendent possible plusieurs programmes de formation. Dans le cas du programme PeBIM, les cégeps et l’ETS fonctionnent en consortium. Ils partagent les coûts, les risques, les bénéfices et les responsabilités liés au programme. Cela leur permet de mettre à profit leur expertise respective et de distribuer les tâches de manière à faciliter la promotion des activités, les inscriptions ou encore les contacts avec les acteurs de l’industrie. À l’aide d’outils de partage d’information en ligne, ils échangent les résultats de leur veille du marché du travail, les rétroactions sur les formations et les pratiques des formateurs et font des réunions à distance. Cela procure aux formateurs une grande mobilité ce qui permet d’offrir la formation à la grandeur du Québec. La plate-forme sert aussi à faire des ajustements au programme. Les technologies évoluent rapidement, dira Simon Brodeur, de sorte qu’il est essentiel d’ajuster les contenus.

Par exemple, les quatre modules de la formation PéBIM, on a des avocats, des architectes, des ingénieurs, ou des spécialistes du BIM qui vont carrément réécrire des sections de modules pour nous et tout ça se fait dans un environnement partagé. On fait des réunions de temps à autre, mais pour conclure le résultat des travaux faits de manière collaborative.

Cette collaboration en quasi temps réel pour adapter le contenu d’une formation aux changements est très nouvelle et semble essentielle dans les secteurs où les technologies bouleversent l’organisation du travail. Simon Brodeur poursuit.

On est dans un monde où les changements s’accélèrent et on doit se donner les moyens de suivre. Il y a constamment des entreprises qui arrivent avec une nouvelle façon de faire les choses, plus rapide, meilleure, et plein d’entreprises qui sont déclassées, qui perdent leur marché. Ça se passe dans le domaine de la télévision, des médias, dans le domaine manufacturier. Dans le domaine de la construction, on voit maintenant des entreprises qui ont des lunettes de réalité augmentée sur les chantiers pour voir s’ils correspondent à ce qui a été conçu, pour prévoir le phasage, pour faire les zones de sécurité, etc.

Trois clés pour une ingénierie de formation prospective et réactive

Le BIM a permis la création de liens entre la recherche universitaire, les pratiques des acteurs de l’industrie et la formation de la main-d’œuvre. Le modèle collaboratif sur lequel il s’appuie est une source d’inspiration pour une ingénierie de formation qui sied aux secteurs en transformation. L’expérience des deux collèges donnent des clés pour une approche prospective et réactive :

  • Collaboration étroite avec les acteurs les plus innovants d’une industrie pour identifier les nouveaux besoins et participer à la conception des contenus.
  • Adoption d’une technologie collaborative pour faire évoluer les contenus de formation rapidement.
  • Participation des professeurs de l’enseignement régulier à la conception de la formation continue.

Notes

  1. Voir Chaudet et al., 2016; MacGraw Hill Construction, 2014.
  2. Voir le site du Groupe de recherche en intégration et développement durable en environnement bâti de la Chaire industrielle Pomerleau de l’ETS.
  3. Par ailleurs imposé par le ministère de l’Éducation pour la création des programmes de la formation professionnelle et technique.

Références

Silva, F. et Ben Ali, A. (2010). Émergence du travail collaboratif : Nouvelles formes d’organisation du travail. Management & Avenir, 36(6), 340-365.

Construction, M.H. (2014). Smart Market Report. The Business Value of BIM for Construction in Major Global Markets: How Contractors Around the World Are Driving Innovation With Building Information Modeling Bedford: l’auteur.

Bouillon, J.-L. (2015). Technologies numériques d’information et de communication et rationalisations organisationnelles : les « compétences numériques » face à la modélisation. Les Enjeux de l’information et de la communication, 16(1), 89-103.

Forgues, D. et Lejeune, A. (2015). BIM: In Search of the Organizational Architect. International Journal of Project Organisation and Management, 7(3), 270-283.

Chaudet, B., Patrascu, M. et Bouillon, J.-L. (2016). La maquette numérique dans le secteur du bâtiment. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 9.

Extrait

Inspirés par les technologies collaboratives, les cégeps du Vieux-Montréal et de Limoilou ont mis sur pied une ingénierie de formation prospective et réactive qui sied aux secteurs d’activités en transformation. L’expérience donne trois clés : collaboration étroite avec les acteurs les plus innovants d’une industrie pour identifier les nouveaux besoins et participer à la conception des contenus; adoption d’une plate-forme collaborative pour faire évoluer les contenus de formation rapidement; participation des professeurs de l’enseignement régulier à la conception de la formation continue.

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