Les compétences du 21e siècle

Par Sylvie Ann Hart et Danielle Ouellet
Publié dans le Bulletin de l’OCE : Décembre 2013 | Vol. 4 | N°4

À l’ère de la culture numérique, de nouvelles exigences apparaissent dans le domaine de l’éducation et de l’emploi. Au cours des vingt dernières années, plusieurs termes ont été utilisés pour les désigner, tels que compétences de base, compétences essentielles, compétences clés, socle commun de connaissances et compétences, etc. Depuis les cinq dernières années, cependant, un consensus émerge sur le terme compétences du 21e siècle, plus englobant, significatif et générique que les autres. S’accordant sur la terminologie, qu’en est-il de la définition de ces compétences? Dans ce dossier, nous présentons les travaux de deux équipes de chercheurs, une néerlandaise, l’autre américaine, qui se sont intéressées à cette question.

La mise en parallèle de leurs travaux permet de constater que les compétences qui font consensus et celles qui sont les plus en demande sur le marché du travail sont très semblables. Il y a donc urgence en la demeure et on ne peut que s’inquiéter de la lenteur de leur implantation dans les écoles, une préoccupation amenée par les chercheurs néerlandais.

Les compétences qui font consensus

Les chercheurs néerlandais, Joke Voogt et Nathalie Pareja Roblin, ont investigué les grands référentiels dont l’objectif est de promouvoir les compétences qui doivent être enseignées dans les écoles du 21e siècle. Trois de ces référentiels proviennent d’organismes internationaux bien connus : l’UNESCO, l’OCDE et l’Union Européenne. Quant aux autres, un provient de l’Australie et trois des États-Unis et ils ont la particularité d’avoir reçu des appuis de grandes corporations privées. Une indication, affirment les chercheurs, d’un « fort intérêt de la société civile pour les compétences du 21e siècle. »

La comparaison du contenu des huit référentiels permet de constater que, si la définition des compétences du 21e siècle n’est pas stabilisée, n’en demeure pas moins qu’un certain nombre d’entre elles font consensus. Les voici.

Les compétences mentionnées dans tous les référentiels :

  • collaboration,
  • communication,
  • compétences liées aux technologies de l’information et des communications (TIC),
  • habiletés sociales et culturelles, citoyenneté.

Les compétences identifiées dans la majorité des référentiels :

  • créativité
  • pensée critique,
  • résolution de problèmes,
  • capacité de développer des produits de qualité et productivité.

D’autres compétences sont mentionnées plus rarement, telles que la capacité d’apprendre, l’autonomie (self-direction), la capacité de planifier, la flexibilité, l’adaptabilité ou la résolution de conflits, etc.

Privilégiées entre toutes, les compétences liées aux TIC sont au cœur de tous les référentiels. Dans la plupart, elles sont regroupées en trois catégories :

L’« information literacy » réfère à la capacité (1) à accéder de manière efficace à de l’information pertinente, (2) à évaluer l’information avec une approche critique et (3) à l’utiliser avec justesse et créativité.

L’ « ICT literacy » réfère aux connaissances techniques qui permettent d’utiliser les technologies de l’information et de la communication. Elles peuvent aussi être comprises dans le sens plus large de l’utilisation des technologies digitales, des outils de communication et/ou des réseaux pour accéder, gérer, intégrer, évaluer et créer de l’information utile dans la société du savoir.

La « technological literacy » réfère aux connaissances technologiques qui permettent de comprendre et d’utiliser les TIC pour régler des problèmes complexes ou pour créer des produits ou services en réponse à des exigences de la société du savoir.

Les compétences les plus en demande

Des chercheurs du Center on Education and Workforce de l’Université Georgetown ont utilisé la base de données d’O*Net, le système d’information sur les occupations des États-Unis pour identifier les compétences du 21e siècle. Créé en 1998 par le US Department of Labor, ce système qui regroupe des informations sur plus de 1000 occupations fait l’envie du monde entier pour son interface, sa puissance et son caractère évolutif. La description des occupations y est, en effet, le résultat d’analyses actualisées sur une base récurrente par des enquêtes menées auprès des cadres, professionnels, employés et ouvriers expérimentés. O*Net est une base de données vivante et cette caractéristique permet aux chercheurs de l’interroger pour mener des études sur les occupations. On ne compte d’ailleurs plus le nombre de recherches académiques menées sur les données de cette banque. Lors des enquêtes, cadres, professionnels, employés et ouvriers ont à déterminer (1) les connaissances, savoir-faire et aptitudes requis par leur profession ou métier et, c’est là le plus intéressant, (2) l’intensité du niveau de maîtrise exigé pour chacun des descripteurs : fort niveau, bon niveau et faible niveau. La base de données d’O*Net permet aux chercheurs américains, non seulement d’identifier les connaissances, savoir-faire et aptitudes les plus en demande sur le marché du travail, mais aussi de déterminer l’intensité de cette demande. Les connaissances sont généralement proches des savoirs spécifiques aux occupations. Par conséquent, plus une occupation est répandue sur le marché du travail, plus elle a de poids dans la banque de données d’O*NET. Lorsqu’elles sont requises dans une majorité d’occupations, toutefois, il s’agit davantage de connaissances « transversales » que de connaissances spécifiques. Quant aux savoir-faire et aux aptitudes, ils sont transversaux par nature. Les compétences du 21e siècle sont transversales, mais elles présentent aussi deux autres caractéristiques. Elles sont multidimensionnelles car elles incluent des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être. Et elles sont associées à des capacités de haut niveau qui permettent de faire face à des problèmes complexes et à des situations imprévisibles. C’est ce que donne à voir les résultats des chercheurs américains.

Les connaissances

Le service à la clientèle, la langue maternelle, les mathématiques, l’informatique et le travail de bureau sont les connaissances les plus prisées sur le marché du travail américain en 2010. Une bonne maîtrise des connaissances relatives (1) au service à la clientèle et à la langue anglaise est même requise dans 90 pour cent des emplois, (2) aux mathématiques dans 70 pour cent des emplois et (3) à l’informatique et au travail de bureau dans 60% des emplois. Les autres connaissances en demande sont dans l’ordre décroissant : la santé sécurité, les ressources humaines, la production, les ventes et les communications.

Tableau 1 – Les connaissances les plus en demande sur le marché du travail américain en 2010 selon l’intensité de la demande

Connaissances les plus demandées sur le marché du travail

Les savoir-faire

Les savoir-faire les plus en demande sur le marché du travail américain sont requis dans plus de 75 pour cent des occupations. Dans l’ordre il s’agit des suivants : l’écoute active, la capacité de s’exprimer en se faisant bien comprendre, la capacité d’utiliser la logique et le raisonnement pour résoudre des problèmes (critical thinking) et la compréhension de l’écrit. Un haut niveau de maîtrise de ces savoir-faire est même requis dans au moins 40% des occupations. Les autres sont dans l’ordre : la capacité de suivre et d’évaluer sa performance, celle des autres ou celle de l’organisation pour améliorer ou corriger des problèmes (monitoring), la capacité de comprendre les réactions des autres et pourquoi ils agissent ainsi (social perceptiveness), la capacité de coordination, de jugement et de prise de décision, la capacité de gérer son temps et celui des autres, la capacité de communiquer à l’écrit, de résoudre des problèmes complexes et enfin, de comprendre les nouvelles informations et de s’en servir pour résoudre des problèmes ou prendre des décisions.

Tableau 2 – Les savoir-faire les plus en demande sur le marché américain en 2010 selon l’intensité de la demande

Savoir-faire les plus demandés sur le marché du travail

Les aptitudes

Parmi les dix aptitudes les plus en demande sur le marché du travail, huit sont cognitives. Il y a celles qui prédisposent à la communication et aux échanges, les habiletés langagières, compréhension orale, expression orale, compréhension écrite,expression écrite, des compétences de base au sens traditionnelle du terme. Et il y a celles qui prédisposent à la manipulation et à l’analyse de l’information telles que le raisonnement déductif, le raisonnement inductif, l’organisation de l’information(information ordering) et le repérage des problèmes (problem-sensitivity). On observe que la demande pour ces aptitudes est très forte, requises qu’elles sont dans près de 100% des occupations et dans 80% des occupations pour la compréhension et l’expression écrite.

Tableau 3 – Les aptitudes les plus en demande sur le marché américain en 2010 selon l’intensité de la demande

Aptitudes les plus demandées sur le marché du travail

Les travaux des chercheurs néerlandais et américains illustrent, avec éloquence, les exigences d’une société qui valorise la communication et l’échange d’informations via les nouvelles technologies, mais aussi et en même temps, une posture proactive, critique et créative dans la vie professionnelle. Nous sommes désormais bien loin de la société industrielle et c’est une réalité que nous ne saisissons malheureusement pas encore pleinement. D’où les retards et les résistances au changement.

L’implantation des compétences du 21e siècle : un défi complexe

Pour intégrer efficacement les compétences du 21e siècle dans le curriculum scolaire, le monde de l’éducation a du pain sur la planche. Poursuivant leur investigation des grands référentiels, les chercheurs néerlandais, Joke Voogt et Natalie Pareja Roblin, ont identifié trois questions clés pour comprendre la nature du défi que cela représente. Les voici :

La place des compétences du 21e siècle dans le curriculum scolaire est sans doute l’élément le plus controversé. Des pistes de solutions sont toutefois envisagées dans les référentiels. Certains suggèrent d’intégrer ces compétences dans les programmes existants, comme des objets d’études en soi. D’autres souhaitent les disséminer en soutien aux autres objets d’études, ce que permet leur transversalité. D’autres, enfin, les voient comme parties prenantes d’un tout nouveau curriculum dans lequel les structures traditionnelles des programmes sont transformées pour que les écoles deviennent des organisations centrées sur l’apprentissage et non plus sur la formation.

Un consensus est clair toutefois : pour faire place aux compétences du 21e siècle les curricula doivent être modifiés en profondeur. L’apprentissage basé sur la résolution de problèmes, la collaboration, l’expérience et l’évaluation formative comptent parmi les meilleures techniques pédagogiques pour supporter leur intégration.

L’importance du rôle des professeurs et de leur développement professionnel est largement promue dans tous les référentiels. Leurs attitudes, leurs croyances, leurs compétences et leurs pratiques sont primordiales lorsque vient le temps d’effectuer des changements dans les manières d’enseigner et d’apprendre. Les compétences du 21e siècle leur posent de nombreux défis d’ordre pédagogique. On ne s’attend pas uniquement à ce qu’ils facilitent l’acquisition de ces compétences, par exemple, mais aussi à ce qu’ils les possèdent eux-mêmes. Deux besoins sont fréquemment identifiés : développer leurs habiletés à utiliser différentes méthodes d’enseignement et savoir utiliser les outils offerts par les TIC pour créer des environnements de formation appropriés aux apprentissages du 21e siècle.

S’ajoute aussi la nécessité, pour les enseignants, de bien saisir l’importance de ces compétences et des moyens de les intégrer dans leur enseignement. Pour y arriver, ils doivent pouvoir observer des exemples réels, s’engager dans des activités de développement professionnel sur une base continue et s’intégrer à des communautés d’apprentissage professionnelles.

Enfin, l’implication des différents acteurs des secteurs publics aussi bien que privés est reconnue dans tous les référentiels. Les décideurs politiques, le monde des affaires, les leaders en milieu scolaire, les concepteurs de contenus, les organisations professionnelles, les institutions de formation des maîtres, les chercheurs du domaine de l’éducation, les directions d’écoles, les parents, les familles, etc., tous doivent être mis à contribution dans l’implantation des compétences du 21e siècle. Et les stratégies pour le faire doivent tenir compte des intérêts et des responsabilités de chacun de ces acteurs.

Une fois l’implantation des compétences du 21e siècle dans les curricula réalisée, un défi majeur subsiste : celui de leur évaluation. De telles compétences sont complexes tout comme les tâches exigées pour les réaliser. Mais comment les évaluer? Ici encore, les TIC peuvent jouer un rôle de premier plan, croit-on, que ce soit pour changer la manière d’évaluer la conception et l’administration de tests notamment, ou lorsqu’il faut modifier la nature même de ce qui doit être évalué ou appris. Les TIC pourraient aussi être utiles, suggère-t-on, pour élaborer des nouvelles manières de faire issues de l’âge de l’information.

L’état d’avancement de l’implantation des compétences du 21e siècle dans les pays industrialisés

L’implantation des compétences du 21e siècle n’est pas facile et les organismes internationaux s’intéressent à la question. Les chercheurs néerlandais rapportent qu’une étude sur l’implantation des compétences du 21e siècle dans 17 pays de l’OCDE révèle que la plupart ont effectivement adopté ces compétences. Dans plusieurs cas, les pays se sont inspirés des référentiels des organisations internationales. Une autre étude, celle-là menée dans 27 pays membres de l’Union européenne parvient au même constat. Autre phénomène, dans la plupart des pays, les compétences du 21e siècle ont été intégrées comme compétences transversales dans les programmes existants. Une exception, toutefois, les compétences reliées aux TIC qui sont, dans la majorité des pays, ajoutées comme objets d’études en soi.

Un résultat étonne les chercheurs néerlandais : au cours des dernières années, les pays asiatiques ont misé sur les pratiques pédagogiques qui supportent le développement des compétences du 21e siècle tandis qu’on observe le phénomène inverse dans certains pays européens. Au Danemark, par exemple, il semble y avoir eu une dérive vers un accroissement des tests et de l’apprentissage individuel au détriment des nouvelles pratiques pédagogiques qui favorisent le développement de ces compétences. Pour Voogt et Roblin, de tels constats « montrent clairement l’importance de concevoir des politiques nationales pour favoriser l’implantation des compétences du 21e siècle ».

Références

Joke Voogt & Natalie Pareja Roblin (2012). A comparative analysis of international frameworks for 21st century competences: Implications for national curriculum policies. Journal of Curriculum Studies, volume 44, numéro 3, pp. 299-321.

Anthony P. Carnevale (2013). 21st Century Competencies for College and Career Readiness. Washington D.C., Georgetown University, Center on education and the workforce.

En savoir plus

Sur les référentiels portant sur les compétences du 21e siècle. Les quatre premiers sont internationaux, les quatre autres, américains.

Sur l’état de leur avancement dans les sociétés industrialisées

Sur le système d’information des professions O*NET

Extrait

Les compétences qui font consensus dans les grands référentiels internationaux et nationaux et celles qui sont les plus en demande sur le marché du travail sont très semblables. Elles illustrent, et ce avec éloquence, les exigences d’une société qui valorise la communication et l’échange d’informations via les nouvelles technologies, mais aussi et en même temps, une posture proactive, critique et créative dans la vie professionnelle.

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